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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Éros.

Ils sont battus, seigneur ; et notre avantage peut passer pour une victoire complète.

Scarus.

Tirons-leur des lignes sur le dos, prenons-les par derrière comme des lièvres ; c’est une chasse d’assommer un fuyard.

Antoine.

Je veux te donner une récompense pour cette saillie, et dix pour ta bravoure… Suis-moi.

Scarus.

Je vous suis en boitant.

(Ils sortent.)



Scène VIII

Sous les murs d’Alexandrie.
Fanfares. ANTOINE revient au son d’une marche guerrière, accompagné de Scarus et de l’armée.
Antoine.

Nous l’avons chassé jusqu’à son camp. — Que quelqu’un coure en avant et annonce nos hôtes à la reine. Demain, avant que le soleil nous voie, nous achèverons de verser le sang qui nous échappe aujourd’hui. — Je vous rends grâces à tous ; vous avez des bras de héros. Vous avez combattu, non pas en hommes qui servent les intérêts d’un autre, mais comme si chacun de vous eût défendu sa propre cause. Vous vous êtes tous montrés des Hectors. Rentrez dans la ville ; allez serrer dans vos bras vos femmes, vos amis ; racontez-leur vos exploits, tandis que, versant des larmes de joie, ils essuieront le sang figé dans vos plaies, et baiseront vos blessures. (À Scarus.) Donne-moi ta main. (Cléopâtre arrive avec sa suite.) C’est à cette puissante fée que je veux vanter tes exploits ; je veux te faire goûter la douceur de ses louanges. Ô toi, astre de l’univers, enchaîne dans tes bras ce cou bardé de fer : franchis tout entière l’acier de cette armure à l’épreuve ; viens sur mon sein pour y être soulevée par les élans de mon cœur triomphant.

Cléopâtre.

Seigneur des seigneurs, courage sans bornes, reviens-tu en souriant après avoir échappé au grand piège où le monde va se précipiter[1] ?

  1. The world’s great snare, le grand piége du monde est la guerre.