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ACTE III, SCÈNE XI.

Où étais-tu, mon cœur ? Entends-tu, reine, si je reviens encore une fois du champ de bataille pour baiser ces lèvres, je reviendrai tout couvert de sang. Mon épée et moi, nous allons gagner notre place dans l’histoire. J’espère encore.

Cléopâtre.

Je reconnais mon héros.

Antoine.

Je veux que mes muscles, que mon cœur, que mon haleine, déploient une triple force, et je combattrai à toute outrance. Quand mes heures coulaient dans la prospérité, les hommes rachetaient de moi leur vie pour un bon mot ; mais maintenant je serrerai les dents et j’enverrai dans les ténèbres tout ce qui tentera de m’arrêter. — Viens, passons encore une nuit dans la joie. Qu’on appelle autour de moi tous mes sombres officiers ; qu’on remplisse nos coupes ; et pour la dernière fois, oublions en buvant la cloche de minuit.

Cléopâtre.

C’est aujourd’hui le jour de ma naissance. Je m’attendais à le passer dans la tristesse. Mais puisque mon seigneur est encore Antoine, je veux être Cléopâtre.

Antoine.

Nous goûterons encore le bonheur.

Cléopâtre.

Qu’on appelle auprès de mon Antoine tous ses braves officiers.

Antoine.

Oui. Je leur parlerai ; et ce soir je veux que le vin enlumine leurs cicatrices. — Venez, ma reine, il y a encore de la sève. Au premier combat que je livrerai, je forcerai la mort à me chérir, car je veux rivaliser avec sa faux homicide.

(Ils sortent tous les deux.)
Énobarbus.

Allons, le voilà qui veut surpasser la foudre. Être furieux, c’est être vaillant par excès de peur ; et, dans cette disposition, la colombe attaquerait l’épervier. Je vois cependant que mon général ne regagne du cœur qu’aux dépens de sa tête. Quand le courage usurpe sur la raison du guerrier, il ronge l’épée avec laquelle il combat. — Je vais chercher les moyens de le quitter.


FIN DU TROISIÈME ACTE.