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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

vous donne bien haut ; abandonnez ceux qui s’abandonnent eux-mêmes. Descendez tout droit au rivage. Je vais dans un instant vous mettre en possession de ce trésor et de ce vaisseau. — Laissez-moi, je vous prie, un moment. — Je vous en conjure, laissez-moi ; je vous en prie, car j’ai perdu le droit de vous commander. Je vous rejoindrai tout à l’heure.

(Il s’assied.)
(Entrent Éros, et Cléopâtre soutenue par Charmiane et Iras.)
Éros.

Oui, madame, approchez-vous ; venez, consolez-le.

Iras.

Consolez-le, chère reine.

Charmiane.

Le consoler ! Oui, sans doute.

Cléopâtre.

Laissez-moi m’asseoir. Ô Junon !

Antoine.

Non, non, non, non.

Éros.

La voyez-vous, seigneur ?

Antoine, détournant les yeux.

Oh ! loin de moi, loin, loin !

Charmiane.

Madame…

Iras.

Madame, chère souveraine…

Éros.

Seigneur, seigneur !

Antoine.

Oui, mon seigneur, oui, vraiment. — Il portait à Philippes son épée dans le fourreau, comme un danseur, tandis que je frappais le vieux et maigre Cassius, et ce fut moi qui donnai la mort au frénétique Brutus[1]. Lui, il n’agissait que par des lieutenants et n’avait aucune expérience des grands exploits de la guerre ; et aujourd’hui… — N’importe.

Cléopâtre.

Ah ! restez-là.

Éros.

La reine, seigneur, la reine !

Iras.

Avancez vers lui, madame. Parlez-lui. Il est hors de lui, il est accablé par la honte.

Cléopâtre.

Allons, soutenez-moi donc. — Oh !

Éros.

Noble seigneur, levez-vous : la reine s’approche ; sa tête est penchée et la mort va la saisir ; mais vous pouvez la consoler et la rappeler à la vie.

  1. « C’est ainsi que le débauché Antoine traitait le sublime patriotisme de Brutus. » Warburton.