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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

me parler de cela ? Va-t’en ; fais ce que je te dis. — Où est la coupe que j’ai demandée ?

Ménas, à part.

Si, au nom de mes services, vous daignez m’entendre, levez-vous de votre siége.

Pompée. (Il se lève, et se retire à l’écart.)

Je crois que tu es fou. Qu’y a-t-il ?

Ménas.

Pompée, j’ai toujours servi, chapeau bas, ta fortune.

Pompée.

Tu m’as servi avec une grande fidélité. Qu’as-tu encore à me dire ? — Allons, seigneurs, de la gaieté.

Antoine.

Lépide, garde-toi de ces sables mouvants, car tu t’enfonces.

Ménas, à Pompée.

Veux-tu être le seul maître de l’univers ?

Pompée.

Que veux-tu dire ?

Ménas.

Encore une fois, veux-tu être le seul maître de l’univers ?

Pompée.

Comment cela se pourrait-il ?

Ménas.

Consens-y seulement ; et, quelque faible que tu puisses me croire, je suis l’homme qui te fera don de l’univers.

Pompée.

As-tu bien bu ?

Ménas.

Non, Pompée ; je me suis abstenu de boire. — Tu es, si tu oses l’être, le Jupiter de la terre : tout ce que l’Océan embrasse, tout ce que la voûte du ciel enferme est à toi, si tu veux le saisir.

Pompée.

Montre-moi par quel moyen ?

Ménas.

Ces trois maîtres du monde, ces rivaux sont dans ton vaisseau : laisse-moi couper le câble, et, quand nous serons en mer, leur trancher la tête, et tout est à toi.

Pompée.

Ah ! tu aurais dû le faire et non pas me le dire. Ce serait en moi une trahison ; de ta part, c’était un bon service. Tu dois savoir que ce n’est pas mon intérêt qui conduit mon honneur, mais mon honneur mon intérêt. Repens-toi de ce que ta langue ait ainsi trahi ton projet. Si tu l’avais exécuté à mon insu, j’aurais approuvé ensuite l’action ; mais à présent, je dois la condamner : renonce à ton idée et va boire.