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ACTE I, SCÈNE I.

Antoine.

Que Rome se fonde dans le Tibre, que le vaste portique de l’empire s’écroule ! C’est ici qu’est mon univers. Les royaumes ne sont qu’argile. Notre globe fangeux nourrit également la brute et l’homme. Le noble emploi de la vie, c’est ceci (il l’embrasse), quand un tendre couple, quand des amants comme nous peuvent le faire. Et j’invite le monde sous peine de châtiment à reconnaître que nous sommes incomparables !

Cléopâtre.

Ô rare imposture ! Pourquoi a-t-il épousé Fulvie s’il ne l’aimait pas ? Je semblerai dupe, mais je ne le suis pas. — Antoine sera toujours lui-même.

Antoine.

S’il est inspiré par Cléopâtre. Mais au nom de l’amour et de ses douces heures, ne perdons pas le temps en fâcheux entretiens. Nous ne devrions pas laisser écouler maintenant sans quelque plaisir une seule minute de notre vie… Quel sera l’amusement de ce soir ?

Cléopâtre.

Entendez les ambassadeurs.

Antoine.

Fi donc ! reine querelleuse, à qui tout sied : gronder, rire, pleurer : chaque passion brigue à l’envie l’honneur de paraître belle et de se faire admirer sur votre visage. Point de députés ! Je suis à toi, et à toi seule, et ce soir, nous nous promènerons dans les rues d’Alexandrie, et nous observerons les mœurs du peuple… Venez, ma reine : hier au soir vous en aviez envie. (Au messager.) Ne nous parle pas.

(Ils sortent avec leur suite.)
Démétrius.

Antoine fait-il donc si peu de cas de César ?

Philon.

Oui, quelquefois, quand il n’est plus Antoine, il s’écarte trop de ce caractère qui devrait toujours accompagner Antoine.

Démétrius.

Je suis vraiment affligé de voir confirmer tout ce que répète de lui à Rome la renommée, si souvent menteuse : mais j’espère de plus nobles actions pour demain… Reposez doucement !