Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
SUR SHAKSPEARE.

ceux qu’on dressait aux combats de l’ours jusqu’aux enfants de Saint-Paul et aux sociétaires de Black-Friars. C’est probablement de quelque théâtre placé entre ces deux extrêmes que Shakspeare nous donne une si plaisante image dans le Songe d’une nuit d’été. Mais les moyens d’illusion auxquels ont recours les artisans comédiens de ce drame ne sont guère inférieurs à ceux dont se servaient les théâtres les plus relevés. L’acteur crépi de plâtre, chargé de figurer la muraille qui sépare Pyrame et Thisbé, et instruit à écarter les doigts en guise de crevasse, cet homme qui avec sa lanterne, son chien et son buisson, doit signifier le clair de la lune, ne demandaient pas à l’imagination des spectateurs beaucoup plus de complaisance qu’il n’en fallait ailleurs pour se représenter la même scène tantôt comme un jardin rempli de fleurs, puis aussitôt, sans aucun changement, comme un rocher contre lequel vient se briser un vaisseau, puis enfin comme un champ de bataille où quatre hommes, armés d’épées et de boucliers, viennent figurer deux armées en présence [1]. Il y a lieu de croire que tous ces spectacles rassemblaient à peu près le même public ; du moins est-il certain que les pièces de Shakspeare ont été jouées à Black-Friars et au Globe, deux théâtres différents, bien qu’appartenant à la même troupe.

Les comédiens ambulants étaient en usage de donner leurs représentations dans les cours d’auberge ; le théâtre en occupait une partie ; les spectateurs remplissaient l’autre et demeuraient à découvert ainsi que les acteurs ; les chambres basses qui formaient le circuit de la cour et les galeries au-dessus offraient des places sans doute plus chères. Les théâtres de Londres avaient été construits sur ce modèle ; et ceux qu’on appelait théâtres

  1. C’est la description ironique de l’état grossier du théâtre que donne sir Philippe Sidney dans sa Defence of Poesie, imprimée en 1595.