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ÉTUDE

suivre un peu aveuglément quand il nous y invite avec tant d’attrait. L’originalité, la naïveté, la gaieté, la grâce sont-elles donc si communes que nous les traitions si sévèrement parce qu’elles se sont prodiguées sur un fond léger et de peu de valeur ? N’est-ce donc rien que de goûter, au milieu des invraisemblances, ou, si l’on veut, des absurdités du roman, le charme divin de la poésie ? Avons-nous donc perdu l’heureux pouvoir de nous prêter complaisamment à ses caprices, et n’aurions-nous plus dans l’imagination assez de vivacité, et dans les sentiments assez de jeunesse pour nous livrer à un plaisir si doux, sous quelque forme qu’il nous soit offert ?

Cinq seulement des comédies de Shakspeare, la Tempête, les Joyeuses Bourgeoises de Windsor, Timon d’Athènes, Troïlus et Cressida, et le Marchand de Venise, ont échappé, en partie du moins, à l’influence du goût romanesque. On s’étonnera peut-être de voir ce mérite attribué à la Tempête. Comme le Songe d’une nuit d’été, la Tempête est peuplée de sylphes, d’esprits, et tout s’y passe sous l’empire de la féerie. Mais après avoir établi l’action dans ce monde fictif, le poëte la conduit sans inconséquence, sans complication, sans langueur ; point de sentiments forcés ou sans cesse interrompus ; les caractères sont soutenus et simples ; le pouvoir surnaturel qui dispose des événements se charge de répondre à toutes les nécessités de l’intrigue, et laisse les personnages libres de se montrer tels qu’ils sont, de nager à l’aise dans cette atmosphère magique qui les environne sans altérer la vérité de leurs impressions ou de leurs idées. Le genre est bizarre et léger ; mais, la supposition admise, rien dans l’ouvrage ne choque le jugement et ne trouble l’imagination par l’incohérence des effets.

Dans le système de la comédie d’intrigue, les Joyeuses Bourgeoises de Windsor offrent une composition presque sans reproches, des mœurs réelles, un dénoûment aussi piquant que bien amené, et, à coup sûr, un des ouvrages les plus gais de tout le répertoire comique. Shakspeare a