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SUR SHAKSPEARE.

annoncent déjà la force prodigieuse qu’il déploiera dans ses derniers travaux. Au théâtre seul appartient la véritable histoire de Shakspeare ; après l’avoir vu là, on ne peut plus le chercher ailleurs ; lui-même ne s’en est plus écarté. Ses sonnets, saillies du moment que la grâce poétique ou spirituelle de quelques vers n’eût pas sauvées de l’oubli sans la curiosité qui s’attache aux moindres traces d’un homme célèbre, jetteront çà et là quelques lueurs sur les parties obscures ou douteuses de sa vie ; mais, sous le rapport littéraire, ce n’est plus que comme poëte dramatique que nous avons à le considérer.

Je viens de dire quel fut, en ce genre, le premier emploi de son talent. Il en devait résulter de grandes incertitudes sur l’authenticité de quelques-uns de ses ouvrages. Shakspeare a mis la main à beaucoup de drames ; et sans doute, de son temps même, la part qu’il y avait prise n’eût pas toujours été facile à assigner. Depuis deux siècles la critique s’est exercée à constater les limites de sa propriété véritable ; mais les faits manquent à cet examen, et les jugements littéraires ont été communément déterminés par le désir de faire prévaloir telle ou telle prévention. Il est donc à peu près impossible de prononcer aujourd’hui avec certitude sur l’authenticité des pièces contestées de Shakspeare. Cependant, après les avoir lues, je ne saurais partager l’opinion, d’ailleurs si respectable, de M. Schlegel, qui paraît décidé à les lui attribuer. Le caractère de sécheresse qui domine dans ces pièces, cet amas d’incidents sans explication et de sentiments sans cohérence, cette marche précipitée à travers des scènes sans développements vers des événements sans intérêt, ce sont là les signes auxquels, dans les temps encore grossiers, se reconnaît la fécondité sans génie ; signes tellement contraires à la nature du talent de Shakspeare que je n’y découvre pas même les défauts qui ont pu entacher ses premiers essais. Au nombre des pièces que, d’un commun accord, les derniers éditeurs ont rejetées au moins comme douteuses,