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ÉTUDE

point, à ce qu’il paraît, parmi ses émules. Le poëte est rarement propre à l’action ; sa force est hors du monde réel, et elle ne l’élève si haut que parce qu’il ne l’emploie pas à soulever les fardeaux de la terre. Les commentateurs de Shakspeare ne veulent pas consentir à lui refuser aucun des succès auxquels il a pu prétendre, et les excellents conseils que donne Hamlet aux acteurs appelés devant la cour de Danemark ont été invoqués pour établir que Shakspeare avait dû exécuter à merveille ce qu’il comprenait si bien. Mais Shakspeare a compris les rois, il a compris les guerriers, il a compris aussi les scélérats, et sans doute on n’en voudrait pas conclure qu’il eût su être un Richard III ou un Iago. Heureusement, il y a lieu de le croire, des applaudissements, alors trop faciles à obtenir, ne vinrent pas tenter une ambition que le caractère du jeune poëte eût pu rendre trop facile à satisfaire ; et Rowe, son premier historien, nous apprend que ses mérites dramatiques le firent promptement remarquer, sinon comme un acteur extraordinaire, du moins comme un excellent écrivain.

Cependant des années s’écoulent, et l’on ne voit point Shakspeare se manifester sur la scène. C’est en 1584 qu’il est arrivé à Londres, où l’on ne lui connaît pas d’autre emploi que le théâtre ; et en 1590 seulement parait Périclès, le premier ouvrage que lui attribue Dryden, et que depuis lui ont contesté ses critiques, ou plutôt ses admirateurs. Comment, au milieu des spectacles nouveaux qui l’entouraient, cet esprit si actif, si fécond, dont la rapidité, au dire des acteurs ses contemporains, « suivait celle de la plume, » sera-t-il demeuré six ans sans se sentir pressé du besoin de produire ? En 1593, il publie son poëme de Vénus et Adonis, qu’il dédie à lord Southampton comme « le premier-né de son invention ; » et pourtant, dans les deux années précédentes, avaient réussi deux pièces de théâtre qui portent aujourd’hui son nom. La composition du poëme d’Adonis peut les avoir précédées, quoique la dédicace leur soit postérieure