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ACTE V, SCÈNE III.

volumnie.—Enfant, mettez-vous à genoux.

coriolan.—Voilà mon brave enfant.

volumnie.—Eh bien ! cet enfant, cette femme, ta femme et moi, nous t’adressons notre prière.

coriolan.—Je vous conjure, arrêtez : ou si vous voulez me faire une demande, avant tout, souvenez-vous bien de ceci, de ne pas vous offenser si je vous refuse ce que j’ai juré de n’accorder jamais. Ne me demandez pas de renvoyer mes soldats, ou de capituler encore avec les artisans de Rome. Ne me dites pas que je suis dénaturé. Ne cherchez pas à calmer mes fureurs et ma vengeance par vos raisons de sang-froid…

volumnie.—C’est assez ! N’en dis pas davantage : tu viens de nous dire que tu ne nous accorderais rien ; car nous n’avons rien autre chose à te demander, que ce que tu nous refuses déjà. Mais alors nous demanderons que, si nous succombons dans notre requête, le blâme en retombe sur ta dureté. Écoute-nous.

coriolan.—Aufidius, et vous, Volsques, prêtez l’oreille ; car nous n’écouterons aucune demande de Rome en secret. Votre requête ?

volumnie.—Quand nous resterions muettes et sans parler, ces tristes vêtements et le dépérissement de nos visages te diraient assez quelle vie nous avons menée depuis ton exil. Réfléchis en toi-même, et juge si tu ne vois pas en nous les plus malheureuses femmes de la terre. Ta vue, qui devrait nous faire verser des larmes de joie, faire tressaillir nos cœurs de plaisir, nous fait verser des larmes de désespoir, et trembler de crainte et de douleur, en montrant aux yeux d’une mère, d’une femme, d’un enfant, un fils, un époux et un père, qui déchire les entrailles de sa patrie. Et c’est à nous, infortunées, que ta haine est surtout fatale. Tu nous enlèves jusqu’au pouvoir de prier les dieux, douceur qui reste à tous les malheureux, excepté à nous. Car, comment pouvons-nous, hélas ! comment pouvons-nous prier les dieux pour notre patrie, comme c’est notre devoir, et les prier pour ta victoire, comme c’est aussi notre devoir ? Hélas ! il nous faut perdre, ou notre chère patrie qui nous a