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CORIOLAN.

vant ce bon Cominius, ne m’encourage guère.—Non, il n’aura pas été pris dans un moment favorable ; sans doute il n’avait pas dîné. Le matin, quand le sang refroidi n’enfle plus nos veines, nous sommes maussades, durs, et incapables de donner et de pardonner : mais quand nous avons rempli les canaux de notre sang par le vin et la bonne chère, l’âme est plus flexible que dans les heures d’un jeûne religieux : j’attendrai donc, pour lui présenter ma requête, le moment qui suivra son repas, et alors j’attaquerai son cœur.

brutus.—Vous connaissez trop bien le chemin qui y conduit pour perdre vos pas.

ménénius.—Je vous le promets ; d’honneur, je vais le tenter ; advienne que pourra ! Avant peu vous saurez quel est mon succès.

(Il sort.)

cominius.—Coriolan ne voudra jamais l’entendre.

sicinius.—Croyez-vous ?

cominius.—Je vous dis qu’il est comme sur un trône d’or : son œil est enflammé comme s’il voulait brûler Rome. Le souvenir de son injure tient l’entrée de son cœur fermée à la pitié. Je me suis mis à genoux devant lui ; et à peine m’a-t-il dit, d’une voix faible : Levez-vous ! et il m’a congédié ainsi, d’un geste muet de sa main. Ensuite il m’a fait remettre un écrit contenant ce qu’il voulait faire et ce qu’il ne voulait pas faire, protestant qu’il s’était engagé par serment à s’en tenir à ses conditions : en sorte que toute espérance est vaine, à moins que sa noble mère et sa femme, qui, à ce que j’apprends, sont dans le dessein d’aller le solliciter elles-mêmes, ne viennent à bout de lui arracher le pardon de sa patrie. Ainsi quittons cette place, et allons, par nos instances, encourager leur résolution et hâter leur démarche.

(Ils sortent.)