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SUR SHAKSPEARE.

quer, mais qui ne s’enracinent que lorsqu’elles ont su s’accorder et se fondre avec le goût national. La cour elle-même affectait bien quelquefois, comme distinction, une admiration exclusive pour la littérature ancienne ; mais dès qu’il s’agissait d’amusement, elle rentrait dans le public ; et, en effet, il n’était pas aisé de passer du spectacle des combats de l’ours à la prétention des sévérités classiques, même telles qu’on les concevait alors.

Le théâtre demeurait donc soumis, à peu près sans contestation, au goût général ; la science n’y tentait que de timides invasions. En 1561, Thomas Sackville, lord Buckhurst, fit représenter devant Élisabeth sa tragédie de Gorboduc ou Ferrex et Porrex, que les lettrés ont considérée comme la gloire dramatique du temps qui précéda Shakspeare. On y vit en effet, pour la première fois, une pièce réduite en actes et en scènes, et constamment écrite sur un ton élevé ; mais elle était loin de prétendre à l’observation des unités, et l’exemple d’un ouvrage très-ennuyeux, où tout se passe en conversations, ne dut séduire ni les poëtes ni les acteurs. Vers la même époque paraissaient sur le théâtre des pièces plus conformes aux instincts naturels du pays, comme le Maître berger de Wakefield, Jéronimo ou la Tragédie espagnole, etc., et le public leur témoignait hautement sa préférence. Lord Buckhurst lui-même n’exerça d’influence sur le goût dominant qu’en lui demeurant fidèle. Son Miroir des magistrats, recueil d’aventures tirées de l’histoire d’Angleterre et présentées sous une forme dramatique, passa rapidement dans toutes les mains, et devint la mine où puisèrent les poëtes : c’était là ce qui convenait à des esprits nourris des chants des ménestrels ; c’était là l’érudition où se plaisaient la plupart des gentilshommes dont les lectures ne s’étendaient guère au delà de quelques collections de nouvelles, des ballades et des vieilles chroniques. Le théâtre s’empara sans crainte de ces sujets familiers à la multitude ; et les pièces historiques, sous le nom d’histoires, charmèrent les Anglais en leur