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ACTE IV, SCÈNE I.

fidèle Ménénius, tes larmes sont plus amères que celles d’un jeune homme ; elles blessent tes yeux.—Toi, jadis mon général, je t’ai connu dans la guerre un visage impassible ; et tu as tant vu de ces spectacles qui endurcissent le cœur ! Dis à ces femmes éplorées qu’il y a autant de folie à gémir qu’à rire d’un revers inévitable.—Ma mère, vous savez bien que les hasards de ma vie ont toujours fait votre joie ; croyez-moi (bien que je m’en aille seul, comme un dragon solitaire qui rend son repaire redoutable, et dont chacun parle, quoique peu d’hommes l’aient vu), votre fils ou surpassera les renommées vulgaires, ou tombera dans les pièges de la ruse et de la perfidie.

volumnie.—Mon noble fils, où veux-tu aller ? Permets que le digne Cominius t’accompagne quelque temps ; arrête avec lui un plan et une marche certaine, plutôt que d’aller errant t’exposer à tous les hasards qui surgiront sous tes pas.

coriolan.—Ô dieux !

cominius.—Je t’accompagnerai pendant un mois ; nous raisonnerons ensemble sur le lieu où tu dois fixer ton séjour, afin que tu puisses recevoir de nos nouvelles, et nous des tiennes. Alors, si le temps amène un événement qui prépare ton rappel, nous n’aurons pas l’univers entier à parcourir pour trouver un seul homme, au risque encore de perdre l’avantage d’un moment de chaleur, que refroidit toujours l’absence de celui qui pourrait en profiter.

coriolan.—Adieu. Tu es chargé d’années, et trop rassasié des travaux de la guerre, pour venir encore courir les hasards avec un homme dont toutes les forces sont entières. Accompagne-moi seulement jusqu’aux portes. —Venez, ma femme chérie ; et vous, ma bonne mère, et vous, mes nobles et vrais amis : et lorsque je serai hors des murs, faites-moi vos adieux, et quittez-moi le sourire sur les lèvres. Je vous prie, venez. Tant que je serai debout sur la surface de la terre, vous entendrez toujours parler de moi, et vous n’apprendrez jamais rien qui démente ce que j’ai été jusqu’à ce jour.