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ACTE III, SCÈNE III.

coriolan.—Que les flammes des gouffres les plus profonds de l’enfer enveloppent le peuple ! M’appeler traître au peuple ! Toi, insolent tribun, quand tes yeux, tes mains et ta langue pourraient lancer à la fois contre moi chacun dix mille traits, dix mille morts, je te dirais que tu mens, oui, en face, et d’une voix aussi libre, aussi sincère que lorsque je prie les dieux.

sicinius.—Peuple, l’entendez-vous ?

tout le peuple.—À la roche Tarpéienne ! À la roche Tarpéienne !

sicinius.—Silence.—Nous n’avons pas besoin d’intenter contre lui d’autres accusations : ce que vous lui avez vu faire et entendu dire, son insolence à frapper vos magistrats, à vous charger d’imprécations, à résister à vos lois par la violence, et à braver ici même l’assemblée, dont la respectable autorité doit juger son procès ; tous ces attentats sont d’un genre si criminel, si capital, qu’ils méritent le dernier supplice.

brutus.—Mais en considération des services utiles qu’il a rendus à Rome…

coriolan.—Que parlez-vous de services ?…

brutus.—Je parle de ce que je sais.

coriolan.—Vous ?

ménénius.—Est-ce-là la promesse que vous avez faite à votre mère ?

cominius.—Je vous en prie souvenez-vous…

coriolan, en fureur.—Je ne me souviens plus de rien. Qu’ils me condamnent à mourir précipité du mont Tarpéien, ou à errer dans l’exil, ou à languir enfermé avec un grain de nourriture par jour, je n’achèterais pas leur merci au prix d’un seul mot de complaisance ; je n’abaisserais pas ma fierté pour tout ce qu’ils pourraient me donner ; non, quand, pour l’obtenir, il ne faudrait que leur dire bonjour.

sicinius.—Pour avoir en différentes occasions, et autant qu’il a été en lui, fait éclater sa haine contre le peuple, cherchant les moyens de le dépouiller de son autorité ; pour avoir tout récemment outragé le tribunal auguste de la justice ; et cela en frappant, en sa présence,