Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
CORIOLAN.

vous l’accordez à un homme qui, au lieu de le demander, ne fait que se moquer de vous.

troisième citoyen.—Notre choix n’est pas confirmé ; nous pouvons le révoquer encore.

second citoyen.—Et nous le révoquerons : j’ai cinq cents voix d’accord avec la mienne.

premier citoyen.—Moi j’en ai mille, et des amis encore pour les soutenir.

brutus.—Allez à l’instant leur dire qu’on a choisi un consul qui les dépouillera de leurs libertés, et ne leur laissera pas plus de voix qu’à des chiens qu’on bat pour avoir aboyé, tout en ne les gardant que pour cela.

sicinius.—Assemblez-les, et, sur un examen plus réfléchi, révoquez tous votre aveugle choix. Peignez vivement son orgueil, et n’oubliez pas de parler de sa haine contre vous, de l’air de dédain qu’il avait sous l’habit de suppliant, et des railleries qu’il a mêlées à sa requête. Dites que votre amour, ne s’attachant qu’à ses services, a distrait votre attention de son rôle actuel, dont l’indécente ironie est l’effet de sa haine invétérée contre vous.

brutus.—Rejetez même cette faute sur nous, sur vos tribuns ; plaignez-vous du silence de notre autorité qui n’a mis aucune opposition, et vous a comme forcés de faire tomber votre choix sur sa personne.

sicinius.—Dites que, dans votre choix, vous avez été plutôt guidés par notre volonté que par votre inclination ; que l’esprit préoccupé d’une nécessité qui vous a paru votre devoir, vous l’avez, bien qu’à contre-cœur, nommé consul. Rejetez toute la faute sur nous.

brutus.—Oui, ne nous épargnez pas. Dites que nous vous avions fait de beaux discours sur les services qu’il a rendus si jeune à sa patrie, et qu’il a continués si longtemps ; sur la noblesse de sa race, sur l’illustre maison des Marcius, de laquelle sont sortis et cet Ancus Marcius, petit-fils de Numa, qui, après Hostilius, régna en ces lieux, et Publius et Quintus, à qui nous devons les aqueducs qui font arriver la meilleure eau dans Rome ; et le favori du peuple, Censorinus, ainsi nommé,