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ÉTUDE

comme ceux des Percy contre les Douglas. Ainsi les mœurs publiques appelaient la poésie ; ainsi la poésie naissait des mœurs publiques et s’unissait à tous les intérêts, à toute l’existence de cette population accoutumée à vivre, à agir, à prospérer et à se réjouir en commun.

Comment la poésie dramatique serait-elle demeurée étrangère à un peuple ainsi disposé, si souvent réuni et si avide de fêtes ? Tout indique qu’elle s’essaya plus d’une fois dans les jeux des ménestrels. Les anciens écrivains leur donnent aussi les noms de mimi, joculatores, histriones. Des femmes faisaient partie de leurs bandes ; et plusieurs de leurs ballades, entre autres celle de « la fille aux cheveux châtains [1], » sont évidemment des scènes dialoguées. Cependant les ménestrels formèrent plutôt le goût national, porté ensuite au théâtre, que le théâtre même. Les premiers essais d’une véritable représentation théâtrale sont difficiles et dispendieux ; il y faut le concours d’une puissance publique, et ce n’est guère que dans des solennités importantes et générales que l’effet du spectacle pourra répondre aux efforts d’imagination et de travail qu’il aura coûté. L’Angleterre, comme la France, l’Italie et l’Espagne, dut aux fêtes du clergé ses premières représentations dramatiques ; seulement elles y furent, à ce qu’il paraît, plus précoces que partout ailleurs ; les mystères y remontent jusqu’au XIIe siècle, et peut-être au delà. Mais, en France, le clergé, après avoir élevé les théâtres, ne tarda pas à les foudroyer ; il en avait réclamé le privilège dans l’espoir d’entretenir ou d’échauffer ainsi la foi ; bientôt il en redouta l’effet et en abandonna l’usage. Le clergé anglais était plus intimement associé aux goûts, aux habitudes, aux divertissements du peuple. L’Église aussi profitait des avantages de cette « convivialité » universelle dont je viens de tracer le tableau. Célèbre-t-on quelque grande pompe

  1. The nut-brown maid.