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ACTE V, SCÈNE I.

réjouissez-vous d’une joie plus qu’ordinaire ; que ceci soit inscrit en or sur des colonnes impérissables ! Dans le même voyage, Claribel a trouvé un époux à Tunis, Ferdinand, son frère, une épouse sur une terre où il était perdu, et Prospero son duché dans une île misérable ; et nous tous sommes rendus à nous-mêmes, après avoir cessé de nous appartenir.

Alonzo, à Ferdinand et à Miranda.

Donnez-moi vos mains. Que les chagrins, que la tristesse étreignent à jamais le cœur qui ne bénit pas votre union !

Gonzalo.

Ainsi soit-il. Amen.

(Ariel reparaît avec le maître et le bosseman qui le suivent ébahis.)
Gonzalo.

Seigneur, seigneur, voyez, voyez : voici encore des nôtres. Je l’avais prédit que tant qu’il y aurait un gibet sur la terre, ce gaillard-là ne serait pas noyé. — Eh bien ! bouche à blasphèmes, dont les imprécations chassent de ton bord la miséricorde du ciel, quoi ! pas un jurement sur le rivage ! n’as-tu donc plus de langue à terre ! Quelles nouvelles ?

Le bosseman.

La meilleure de toutes, c’est que nous retrouvons ici notre roi et sa compagnie. Voici la seconde : notre navire, qui était tout ouvert, il y a trois heures, et que nous regardions comme perdu, est radoubé, debout, et aussi lestement gréé que lorsque nous avons mis à la mer pour la première fois.

Ariel, à part.

Maître, tout cet ouvrage, je l’ai fait depuis que tu ne m’as vu.

Prospero, à part.

L’adroit petit lutin !

Alonzo.

Ce ne sont point là des événements naturels : l’extraordinaire va croissant et s’ajoutant à l’extraordinaire. Dites, comment êtes-vous venus ici ?

Le bosseman.

Si je croyais être bien éveillé, seigneur, je tâcherais de vous le dire. Nous étions endormis, morts, et (comment ? nous n’en savons rien) tous jetés sous les écoutilles. Là, il n’y a qu’un moment, des sons étranges et divers, des rugissements, des cris, des hurlements, des cliquetis de chaînes qui s’entre-choquaient, et beaucoup d’autres bruits tous horribles, nous ont réveillés. Nous