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LA TEMPÊTE.

Alonzo.

Si c’est là une vision de cette île, il me faudra perdre deux fois un fils chéri.

Sébastien.

Voici le plus grand des miracles !

Ferdinand.

Si les mers menacent, elles font grâce aussi. Je les ai maudites sans sujet.

(Il se met à genoux devant son père.)
Alonzo.

Maintenant, que toutes les bénédictions d’un père rempli de joie t’environnent de toutes parts ! Lève-toi ; dis, comment es-tu venu ici ?

Miranda.

Ô merveille ! combien d’excellentes créatures sont ici et là encore ! Que le genre humain est beau ! Ô glorieux nouveau monde, qui contient de pareils habitants !

Prospero.

Il est nouveau pour toi.

Alonzo.

Quelle est cette jeune fille avec laquelle tu étais au jeu ? Votre plus ancienne connaissance ne peut dater de trois heures… Est-elle la déesse qui nous a séparés, et qui nous réunit ainsi ?

Ferdinand.

C’est une mortelle ; mais, grâce à l’immortelle Providence, elle est à moi : j’en ai fait choix dans un temps où je ne pouvais consulter mon père, où je ne croyais plus que j’eusse encore un père. Elle est la fille de ce fameux duc de Milan dont le renom a si souvent frappé mes oreilles, mais que je n’avais jamais vu jusqu’à ce jour. C’est de lui que j’ai reçu une seconde vie, et cette jeune dame me donne en lui un second père.

Alonzo.

Je suis le sien. Mais, oh ! de quel œil verra-t-on qu’il me faille demander pardon à mon enfant ?

Prospero.

Arrêtez, seigneur : ne chargeons point notre mémoire du poids d’un mal qui nous a quittés.

Gonzalo.

Je pleurais au fond de mon âme, sans quoi j’aurais déjà parlé. Abaissez vos regards, ô dieux, et faites descendre sur ce couple une couronne de bénédiction ; car vous seuls avez tracé la route qui nous a conduits ici.

Alonzo.

Je te dis amen, Gonzalo.

Gonzalo.

Le duc de Milan fut donc chassé de Milan pour que sa race un jour donnât des rois à Naples. Oh !