Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
LA TEMPÊTE

Alonzo.

Cher bosseman, je vous en prie, ne négligez rien. Où est le maître ? Montrez-vous des hommes.

Le bosseman.

Restez en bas, je vous prie.

Antonio.

Bosseman, où est le maître ?

Le bosseman.

Ne l’entendez-vous pas ? Vous troublez la manœuvre. Restez dans vos cabines, vous aidez la tempête.

Gonzalo.

Voyons, mon cher, un peu de patience.

Le bosseman.

Quand la mer en aura. Hors d’ici !

— Les vagues se soucient bien de la qualité de roi. En bas !

Silence ! laissez-nous tranquilles.

Gonzalo.

Fort bien ! cependant n’oublie pas qui tu as à bord.

Le bosseman.

Personne qui me soit plus cher que moi-même. Vous êtes un conseiller : si vous pouvez imposer silence à ces éléments, et rétablir le calme à l’instant, nous ne remuerons plus un seul cordage ; usez de votre autorité. Si vous ne le pouvez, rendez grâces d’avoir vécu si longtemps, et allez dans votre cabine vous préparer aux mauvaises chances du moment, s’il faut en passer par là. — Courage, mes enfants ! — Hors de mon chemin, vous dis-je.

Gonzalo.

Ce drôle me rassure singulièrement. Il n’a rien d’un homme destiné à se noyer ; tout son air est celui d’un gibier de potence. Bon Destin, tiens ferme pour la potence, et que la corde qui lui est réservée nous serve de câble, car le nôtre ne nous est pas bon à grand’chose. S’il n’est pas né pour être pendu, notre sort est pitoyable.

(Ils sortent.)
(Rentre le bosseman.)
Le bosseman.

Amenez le mât de hune. Allons, plus bas, plus bas. Mettez à la cape sous la grande voile risée. (Un cri se fait entendre dans le corps du vaisseau.) Maudits soient leurs hurlements ! Leur voix domine la tempête et la manœuvre. (Entrent Sébastien, Antonio et Gonzalo.)

— Encore ! que faites-vous ici ? Faut-il tout laisser là et

se noyer ? Avez-vous envie de couler bas ?

Sébastien.

La peste soit de tes poumons, braillard, blasphémateur, mauvais chien !