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NOTE

C’est un drame intitulé : Avis aux belles femmes, dont l’intrigue roule sur le meurtre d’un négociant de Londres, commis en 1573 par sa femme et par l’amant de sa femme. Il est prouvé, par le texte même du drame, qu’il fut écrit en 1589. Notons, en passant, que, vers la fin de la pièce, un des personnages raconte, pour démontrer l’utilité du théâtre, cette même histoire à laquelle Hamlet fait allusion dans son dernier monologue du second acte et que nous avons rapportée en note à cet endroit (p. 191) ; mais qu’on attache ou non quelque valeur à cette coïncidence peut-être fortuite, voici un autre passage, bien plus important à nos yeux, de ce vieux drame ; c’est un prologue où sont personnifiées la tragédie, la comédie et l’histoire, qui se disputent la supériorité et le droit d’occuper le théâtre, et voici le tableau des spectacles tragiques tel que la Comédie le retrace : « Un tyran damné, pour obtenir la couronne, empoisonne, poignarde, coupe des gorges ; un vilain spectre pleurard, enveloppé dans une sale toile ou dans un manteau de cuir, entre en geignant comme un porc à demi-égorgé, et crie vindicta ! vengeance, vengeance ! Et quand il apparaît, on voit flamber un peu de résine, comme un peu de fumée sortirait d’une pipe, ou comme le pétard d’un enfant. Et à la fin, ils sont deux ou trois qui se percent l’un l’autre, avec des aiguilles à passer le lacet. N’est-ce pas là un bel étalage, un majestueux spectacle ? » N’est-ce pas là, manifestement, dirons-nous à notre tour, la caricature grotesque d’une représentation de Hamlet et de la mesquine mise en scène qui en déparait les scènes les plus surnaturelles ou les plus meurtrières ? Quand on voit dans une indication du premier Hamlet, au troisième acte, le spectre apparaître, sauf votre respect, en chemise de nuit, au moment même où son fils le contemple et le décrit avec la plus respectueuse terreur, on s’imagine sans peine que ce pauvre fantôme pouvait bien n’avoir, au premier acte, sur la plate-forme d’Elseneur, qu’un manteau de cuir pour figurer sa fameuse armure connue des Polonais et qu’une torche de résine pour jouer quelque reflet de « ces flammes sulfureuses et torturantes » où il va être obligé de rentrer. On comprend aussi que les morts accumulées du dénoûment aient donné à rire aux rieurs ; la comédie a toujours reproché à la tragédie son arsenal d’armes sans pointes et son cortége de faux cadavres. Ou nous sommes bien trompés, ou tous les traits que nous avons cités de ce prologue du vieux drame anglais sont autant de traces du Hamlet de Shakspeare, et contribuent à lui assigner pour date l’année 1589.

Shakspeare était né en 1564 ; ce serait donc à vingt-cinq ans qu’il