Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
SUR SHAKSPEARE.

charmant les rustiques riverains de l’Avon par cette grâce animée, cette joyeuse sérénité d’humeur, cette bienveillante ouverture de caractère qui trouvaient ou faisaient naître partout des plaisirs et des amis.

Cependant, au milieu de ces grotesques folies, un événement sérieux trouve sa place, le mariage de Shakspeare. Au moment où il contracta un engagement si grave, Shakspeare n’avait pas plus de dix-huit ans, car il en faut croire la naissance de sa fille aînée, venue au monde un mois après celui où il avait accompli sa dix-neuvième année. Quels motifs le précipitèrent de si bonne heure dans des liens qu’il semblait encore peu fait pour porter ? Anna Hatway, sa femme, fille d’un cultivateur, et par conséquent un peu au-dessous de lui pour la condition, avait huit ans de plus que lui ; peut-être le surpassait-elle en fortune ; peut-être les parents du poëte voulurent-ils essayer de l’attacher, par une union avantageuse, à quelques occupations sédentaires ; on ne voit pas cependant, bien s’en faut, que le mariage de Shakspeare ait ajouté à l’aisance de sa vie. Peut-être l’amour détermina-t-il les jeunes gens ; peut-être même contraignit-il les familles à précipiter le légitime accomplissement de leurs vœux. Quoi qu’il en soit, moins de deux ans après Suzanna, ce premier fruit de son mariage, naquirent à Shakspeare deux jumeaux, un fils et une fille, dernière preuve d’une intimité conjugale qui s’était d’abord annoncée sous des apparences si fécondes. S’il en faut croire quelques indications, à la vérité douteuses et obscures, la femme de Shakspeare rappelée, comme on le verra, ou plutôt oubliée dans son testament d’une façon étrange, ne fut, dans la suite de sa vie, que bien rarement présente à sa pensée ; et cet engagement irrévocable, si hâtivement contracté, semble se ranger au nombre des saillies les plus passagères de sa jeunesse.

Parmi les faits qu’on a tâché de recueillir sur cette période de la vie de Shakspeare, se place encore la tradition rapportée par Aubrey qui lui fait exercer quelque