demeuraient seuls, et proposent d’essayer la fortune des armes ; la partie est acceptée ; mais, dès les premiers coups, la troupe de Stratford, mise hors de combat, se voit réduite à la triste nécessité d’employer ce qui lui reste de raison à profiter de ce qui lui reste de jambes pour opérer sa retraite ; l’opération paraissait même difficile, et devient bientôt impossible ; à peine a-t-on fait un mille que tout manque à la fois, et la troupe entière établit, pour la nuit, son bivouac sous un pommier sauvage, encore debout, s’il en faut absolument croire les voyageurs, sur la route de Stratford à Bidford, et connu sous le nom de l’arbre de Shakspeare. Le lendemain ses camarades, réveillés par le jour et rafraîchis par la nuit, voulurent l’engager à retourner avec eux sur ses pas pour venger l’affront de la veille ; mais Shakspeare s’y refusa, et jetant les yeux autour de lui sur les villages répandus dans la campagne : « Non, s’écria-t-il, j’en ai assez d’avoir bu avec
Pebworth le flûteur, le danseur Marston,
Hillbrough aux revenants, l’affamé Grafton,
Exhall le brigand, le papiste Wicksford,
Broom où l’on mendie, et l’ivrogne Bidford[1].
Cette conclusion de l’aventure fait présumer que la débauche avait moins de part que la gaieté à ces excursions de la jeunesse de Shakspeare, et que, sinon la poésie, du moins les vers étaient déjà pour lui le langage naturel de la gaieté. La tradition a conservé de lui quelques autres impromptu du même genre, mais attachés à des anecdotes plus insignifiantes ; et tout concourt à nous représenter cette imagination riante et facile se jouant avec complaisance au milieu des grossiers objets de ses amusements, et l’ami futur de lord Southampton
- ↑ Plusieurs de ces villages conservent encore la réputation que Shakspeare leur attribue dans ce quatrain.