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ACTE IV, SCÈNE V.

laërtes. — Ces non-sens sont plus que du bon sens.

ophélia, à Laërtes. — Voilà du romarin [1] ; c’est pour le souvenir. Je vous en prie, amour, souvenez-vous. Et voici des pensées ; c’est pour vous faire penser.

laërtes. — ll y a un enseignement dans sa folie : les pensées et le souvenir assemblés.

ophélia, au roi. — Voilà du fenouil pour vous [2], et des ancolies. — (À la reine.) Voilà de la rue pour vous [3], et il

    oubliée : « Ophélia entre les cheveux flottants, jouant du luth et chantant. » Sans doute il était aussi de tradition qu’elle jouât ici sur son luth cette ritournelle qui lui plaît.

  1. Le langage emblématique des fleurs était en grande vogue au temps de Shakspeare et tenait de près à la foi superstitieuse qu’on avait encore en la puissance médicinale ou magique des végétaux. Ophélia donne à chacun une fleur qui fait allusion à un événement du drame ou au caractère connu du personnage, et elle fait son choix avec une présence d’esprit, avec une justesse d’application, qui semblerait démentir sa folie si quelques-unes de ces allusions, par leur justesse même et leur imprudente vérité, ne montraient qu’Ophélia n’est plus maîtresse de sa parole et de ses actes. Le romarin, toujours vert, était l’emblème de la fidélité ; on le portait aux funérailles et aux fiançailles ; dans son dialogue en vers entre la nature et le phénix (1601), R. Chester dit : « Voici du romarin : les Arabes, médecins d’une habileté parfaite, affirment qu’il réconforte le cerveau et la mémoire. » Aussi Ophélia choisit-elle le romarin pour son frère afin qu’il se souvienne d’elle et de leur père mort.
  2. Le fenouil qu’Ophélia donne au roi était la fleur de la flatterie et de la dissimulation ; l’ancolie était la fleur de l’ingratitude et du délaissement. Dans le dictionnaire italien-anglais de Florio (1598), on lit : « Dare finnochio, donner du fenouil, flatter, dissimuler. Parmi les sonnets publiés en 1584 sous le titre d’Une Poignée de Délices, il y a un poëme qui s’appelle Bouquets toujours doux aux amants, à envoyer comme gages d’amour, et où l’amoureux dit : « Le fenouil est pour les flatteurs, mauvaise chose assurément, mais je n’ai jamais eu que des intentions droites, un cœur constant et pur. » Dans la comédie de Chapman, Rien que des fous (1605), un personnage dit : « Qu’est-ce ? une ancolie ? » — « Non, » répond l’interlocuteur, « cette fleur ingrate ne pousse pas dans mon jardin. »
  3. La rue était un emblème de douleur, à cause de la ressemblance qui existe, en anglais, entre le mot rue et le mot ruth, chagrin. Shakspeare, dans Richard II (acte III, sc. iv), a refait le même jeu de mots ; un jardinier y dit, en parlant de la reine détrônée : « Ici elle a laissé couler une larme ; ici, à cet endroit