Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
ACTE IV, SCÈNE V.

ophélia. — En vérité, sans vouloir jurer, je finirai cette chanson :

Par Gis [1] et par sainte Charité ! hélas ! fi ! quelle honte ! Ainsi font les jeunes gens quand ils peuvent le faire. Ah ! Dieu ! qu’ils sont blâmables ! Avant de me chiffonner, dit-elle, vous m’aviez promis de m’épouser…

Et il répond :

Aussi l’aurais-je fait, par l’astre que voilà, si tu n’étais pas arrivée à mon lit.

le roi. — Depuis combien de temps est-elle ainsi ?

ophélia. — J’espère que tout ira bien. Il faut prendre patience… ; mais je ne puis m’empêcher de pleurer, en songeant qu’ils l’ont mis dans la froide terre. Mon frère saura cela ; et, sur ce, je vous remercie de vos bons avis… Allons, ma voiture. Bonsoir, mesdames ; bonsoir, mes chères dames ; bonsoir, bonsoir.

(Elle sort.)

le roi. — Suivez-la de près ; donnez-lui bonne garde, je vous en prie. (Horatio sort.) Ah ! voilà bien le poison d’une profonde douleur, jaillissant tout entier de la mort de son père. Et maintenant regardez, ô Gertrude, Gertrude ! quand les chagrins arrivent, ils ne viennent pas un à un comme des éclaireurs, mais par bataillons. D’abord son père tué, puis votre fils parti — votre fils, très-violent auteur de son propre et juste exil — le peuple, fange troublée, épaisse, exhalant de pernicieuses pensées, et murmurant au sujet de la mort du bon Polonius ; car nous n’avons pas mûrement agi en le faisant enterrer en tapinois ; puis la pauvre Ophélia

  1. Gis, abréviation corrompue et populaire de Jésus, venant des lettres J. H. S., qui servaient seules à marquer le nom de N. S. sur les autels, sur les reliures, etc. Sainte Charité n’est pas la vertu théologale, mais une sainte souvent invoquée, comme ici, en manière de juron pieux, dans l’ancienne poésie anglaise, et qui a sa place dans le martyrologe à la date du 1er août, comme ayant subi le martyre à Rome, sous l’empereur Hadrien, avec deux autres vierges qui s’appelaient Espérance et Foi.