Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
238
HAMLET.

savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. Que Dieu soit à votre table !

le roi. — Elle songe à son père.

ophelia. — Je vous en prie, ne disons pas un mot de cela ; mais si l’on vous demande ce que cela signifie, dites ceci :

(Elle chante.)

Bonjour ! c’est le jour de Saint-Valentin [1] ; tous, ce matin, sont levés de bonne heure, et moi, jeune fille, je suis à votre fenêtre, pour être votre Valentine. Il se leva et mit ses habits, et ouvrit la porte de la chambre : il fit entrer la jeune fille, mais jeune fille elle ne sortit plus.

le roi. — Ma charmante Ophélia !

    entra un jour dans la boutique d’un boulanger qui enfournait. Il demanda un peu de pain. La femme du boulanger mit tout de suite au four un morceau de pâte pour le lui faire cuire ; mais elle fut vivement réprimandée par sa fille qui trouvait la part trop grosse et la réduisit presque à rien. Aussitôt la pâte se gonfla et devint un pain énorme ; ce que voyant, la fille du boulanger se mit à crier : « Heugh ! heugh ! heugh ! » et afin de la punir de sa méchanceté, Notre-Seigneur la changea en chouette, parce qu’elle avait imité le cri de cet oiseau. On raconte cette histoire aux petits enfants pour leur apprendre à être généreux envers les pauvres.

  1. La fête de saint Valentin est le 14 février. Selon la tradition des campagnes, c’est vers ce moment de l’année que les couples d’oiseaux se choisissent ; de là vient sans doute la coutume à laquelle Ophélia fait allusion. Dans certaines parties de l’Angleterre, la première jeune fille qu’un jeune homme rencontrait le 14 février était officiellement son amoureuse ; en d’autres endroits, les noms des jeunes gens étaient mis dans une urne, et les jeunes filles tiraient au sort. C’était, disait-on, un bon présage de mariage entre ceux que le hasard fiançait ainsi ; on pourrait, même sans la chanson d’Ophélia, croire que cette coutume naïve ne tournait pas toujours si bien. Aujourd’hui encore, en Angleterre, les jeunes gens et les jeunes filles s’envoient mutuellement, le 14 février, des déclarations en prose et en vers ; mais on ne les signe pas, on ne les écrit même pas, la plupart du temps ; on les achète toutes faites pour les jeter à la poste, et les vignettes ou les dentelles du papier mignon qui sert à ces galanteries imprimées n’ajoutent pas assez d’attrait à un témoignage banal de souvenir qu’on ne prend pas même la peine de porter comme une carte de visite.