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HAMLET.

hamlet. — Confondu avec la poussière, dont il est parent.

rosencrantz. — Dites-nous où il est, pour que nous puissions le tirer de là et le porter à la chapelle.

hamlet. — N’allez pas croire cela.

rosencrantz. — Croire quoi ?

hamlet. — Que je puisse garder votre secret et non le mien. Et puis, être importuné par une éponge ! Quelle réponse doit faire à cela le fils d’un roi ?

rosencrantz. — Me prenez-vous pour une éponge, mon seigneur ?

hamlet. — Oui, monsieur, une éponge qui pompe la physionomie du roi, ses faveurs, son autorité. Mais de tels officiers rendent en définitive de grands services au roi ; il les tient en réserve, comme ferait un singe avec des noisettes, dans le coin de sa machoire — embouchés tout d’abord, pour être avalés au dernier moment ; — quand il a besoin de ce que vous avez recueilli, il n’a qu’à vous presser un peu, éponge, et vous redevenez sèche.

rosencrantz. — Je ne vous comprends pas, mon seigneur.

hamlet. — Cela me fait grand plaisir ; un méchant propos doit mourir dans une sotte oreille.

rosencrantz. — Mon seigneur, il faut nous dire où est le corps, et venir avec nous chez le roi.

hamlet. — Le corps est avec le roi, mais le roi n’est pas avec le corps. Le roi est une chose…

guildenstern. — Une chose, mon seigneur ?

hamlet. — … de rien. Conduisez-moi vers lui. Cache-toi, renard ! et tous en chasse [1] !

(Ils sortent.)
  1. Remarquez-vous comme les paroles de Hamlet deviennent tantôt plus hardies, tantôt plus obscures, à mesure que l’action avance ? De plus en plus obsédé par la certitude croissante du crime qu’il doit punir, par les émotions qui se multiplient, par les piéges qui s’ouvrent sous ses pas, par la haine qu’il voit s’amonceler sur lui, par l’idée de la vengeance dont il est, de minute en minute, plus altéré et plus effrayé tout ensemble, parce que chaque minute l’a retardée et la rapproche, il parle comme il sent, et les saccades de son langage reproduisent le tumulte de