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HAMLET.

la reine de la comédie. —

Ah ! puissent le soleil et la lune nous faire encore compter leurs voyages en aussi grand nombre, avant que c’en soit fait de l’amour ! mais, malheureuse que je suis ! vous êtes si malade depuis quelque temps, si loin de l’allégresse et de votre ancienne façon d’être, que je suis défiante à votre sujet. Cependant, quoique je me défie, cela ne doit en rien, mon seigneur, vous décourager : car les craintes et les tendresses des femmes vont par égales quantités, pareillement nulles, ou pareillement extrêmes. Maintenant, ce qu’est mon amour, l’expérience vous l’a fait connaître, et la

    lui, le poëte Kid, dans sa pièce intitulée la Tragédie espagnole, avait mêlé et fait concourir à l’action principale une autre représentation théâtrale ; voici comment : Hiéronimo, vieux maréchal espagnol, a un fils qui est assassiné, mais dont il ne connaît pas les assassins : il se lamente et il cherche, il croit découvrir et hésite encore ; enfin la maîtresse de son fils lui révèle les coupables, et pour s’assurer une vengeance éclatante, il complote avec la jeune femme de donner au roi d’Espagne le divertissement d’une tragédie où les meurtriers auront des rôles et trouveront la mort. Le plan s’exécute : Hiéronimo et Belimpéria tuent leurs ennemis, Belimpéria se tue elle-même, toute la cour applaudit le jeu terriblement naturel des acteurs, et alors Hiéronimo s’avance, montre le cadavre de son fils, et le dénoûment de la tragédie devient ainsi celui du drame. — Cela seul suffirait à prouver que Shakspeare a imité Kid, tout en remaniant son idée ; mais il y a d’autres ressemblances encore entre les deux pièces : « Je retrouve dans le caractère de Hiéronimo le germe de celui. de Hamlet, » écrivait récemment M. Alfred Mézières, dans ses savantes et élégantes études sur les contemporains de Shakspeare ; « comme Hamlet, le vieux maréchal espagnol poursuit la vengeance d’un meurtre dont il ne connaît pas avec certitude les auteurs ; comme lui, il doute, il hésite ; comme lui, il simule la folie pour s’instruire et pour cacher ses projets, en même temps qu’il en éprouve quelquefois les transports par l’excès de son désespoir. Leur démence est une ruse, mais par instants elle devient réelle. Il y a de l’habileté dans leur conduite et de l’égarement dans leur pensée. L’un se sert de la petite pièce, jouée dans la grande, pour amener le dénoûment, l’autre pour convaincre les meurtriers de leur crime. Mais au fond le procédé est le même ; si Shakspeare en a tiré un plus grand parti, Kid l’a employé le premier. » (Magasin de librairie, 10 février 1859.)