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ÉTUDE

moins les actions et les esprits. C’est ainsi qu’en France le siècle de Richelieu et de Louis XIV connut et posséda cette portion de liberté qui nous a valu une littérature et un théâtre. À cette époque où, parmi nous, le nom même des libertés publiques semblait oublié, où le sentiment de la dignité de l’homme ne servait de base ni aux institutions, ni aux actes du gouvernement, la dignité des situations individuelles se maintenait encore là où la puissance n’avait pas encore eu besoin de l’abaisser. À côté des formes de la servilité se retrouvaient les formes, et quelquefois même les saillies de l’indépendance. Le grand seigneur, soumis et adorateur dans son rôle de courtisan, pouvait en certaines occasions se rappeler avec hauteur qu’il était gentilhomme. Corneille bourgeois n’avait point de termes assez humbles pour exprimer sa reconnaissance et sa dépendance envers le cardinal de Richelieu ; Corneille poëte repoussait l’autorité qui voulait prescrire des règles à son génie, et défendait, contre les prétentions littéraires d’un ministre absolu, les « secrets de plaire qu’il pouvoit avoir trouvés dans son art. » Enfin les esprits, encore vigoureux, échappaient de mille manières au joug d’un despotisme encore incomplet ou novice, et l’imagination s’élançait de toutes parts dans les routes ouvertes à son essor.

En Angleterre, sous Élisabeth, le pouvoir, plus irrégulier et moins savamment organisé qu’il ne le fut en France sous Louis XIV, avait à traiter avec des principes de liberté bien plus profonds. On se tromperait si l’on mesurait le despotisme d’Élisabeth aux paroles de ses flatteurs ou même aux actes de son gouvernement. Dans cette cour jeune encore et peu expérimentée, le langage de l’adulation dépassait de beaucoup la servilité des caractères ; et dans ce pays, où n’avaient point péri les anciennes institutions, le gouvernement était loin de pénétrer partout. Dans les comtés, dans les villes, une administration indépendante maintenait des habitudes et des instincts de liberté. La reine imposait silence aux Com-