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ACTE I, SCÈNE V.

que chacun de tes cheveux se dresserait à part sur sa racine, comme les piquants sur le porc-épic craintif. Mais ces révélations de l’éternité ne sont pas faites pour des oreilles de chair et de sang. Écoute,… écoute,… oh ! écoute !… si tu as jamais aimé ton tendre père…

hamlet. — Ô ciel !

le fantôme. — Venge-le d’un meurtre affreux et dénaturé.

hamlet. — D’un meurtre ?

le fantôme. — D’un meurtre affreux ; et dans le meilleur cas tel est un meurtre ; mais celui-ci fut le plus affreux, le plus inouï, le plus dénaturé.

hamlet. — Hâte-toi de m’instruire, afin que moi, sur des ailes aussi rapides que la réflexion ou que les pensées de l’amour, je puisse voler à ma vengeance.

le fantôme. — Je te trouve prêt ; et quand tu serais plus inerte que l’herbe grasse qui pourrit à loisir sur les bords du Léthé, ne serais-tu pas excité par ceci ? Maintenant, Hamlet, écoute : on a donné à entendre qu’un serpent m’avait piqué pendant que je dormais dans mon verger ; c’est ainsi que la publique oreille du Danemark a été grossièrement abusée par un rapport forgé sur ma mort. Mais sache, toi, noble jeune homme, que le serpent dont la piqûre frappa la vie de ton père porte maintenant sa couronne.

hamlet. — Ô mon âme prophétique ! Mon oncle !

le fantôme. — Oui, cette brute incestueuse, adultère, par la magie de son esprit, par des dons perfides (ô damnable esprit, damnables dons, qui ont le pouvoir de séduire ainsi !) gagna à sa honteuse convoitise la volonté de ma reine, si vertueuse en apparence. Ô Hamlet ! quelle décadence il y eut là ! De moi, de qui l’amour était d’une dignité telle qu’il marchait toujours, mains jointes, avec le serment que je lui avais fait au mariage, descendre jusqu’à un misérable dont les dons naturels étaient si pauvres auprès des miens ! Mais, ainsi que la vertu ne sera jamais ébranlée, quand même la luxure la courtiserait sous une forme divine ; ainsi l’impureté, quoique unie à un ange rayonnant, se rassasiera vite en un lit céleste,