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ACTE I, SCÈNE II.

tés[1] ; fais-en usage selon tes souhaits. Et maintenant, Hamlet, mon cousin, mon fils…

hamlet, à part. — Un peu plus que cousin, et un peu moins que fils.

le roi. — D’où vient que les nuages pèsent encore sur vous ?

hamlet. — Mais non, mon seigneur ; je ne suis que trop en plein soleil.

la reine. — Cher Hamlet, renonce à ces couleurs ténébreuses, et que ton œil regarde en ami le roi de Danemark. Ne va pas, sans fin, sous le voile baissé de tes paupières, cherchant ton noble père dans la poussière. Tu le sais, c’est le sort commun ; tout ce qui vit doit mourir et ne fait que traverser ce monde pour aller à l’éternité.

hamlet. — Oui, madame, c’est le sort commun.

la reine. — S’il en est ainsi, pourquoi cela te semble-t-il étrange ?

hamlet. — Cela me semble, madame ! non, cela est. Sembler et moi, nous ne nous connaissons pas. Ce n’est pas seulement mon manteau noir comme l’encre, bonne mère, ni la traditionnelle livrée d’un deuil d’apparat, ni le souffle orageux d’une respiration pénible, non, ni la source abondante qui ruisselle dans les yeux, ni l’apparence abattue du visage, ni toutes les formes, tous les modes, tous les signes de la douleur, qui peuvent témoigner de moi vraiment. À bien dire, c’est là ce qui « semble : » car ce sont des actions qu’un homme peut jouer; mais je porte au dedans de moi ce que n’égale aucun signe, ce que ne disent pas tous ces harnais et cette livrée de la douleur.

le roi. — C’est une tendre et honorable marque de votre nature, Hamlet, que de rendre à votre père ces lugubres devoirs. Mais, vous devez le savoir, votre père

  1. Nous traduisons d’après une correction excellente de Johnson :

    Take thy fair hour, Laertes ; time is thine,
    And my best graces.