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SUR SHAKSPEARE.

son fils, tandis qu’à sa porte arrivent les assassins qui vont massacrer et ce fils et les autres, et ensuite elle-même. Qui pourrait, sans de telles circonstances, prendre intérêt à cette scène d’enfantillages maternels ? Mais, sans la scène, haïrait-on Macbeth autant qu’on le doit pour ce nouveau crime ? Dans Hamlet, non-seulement la scène des fossoyeurs, par le genre des méditations qu’elle inspire, se lie à l’idée générale de la pièce ; mais, et nous le savons, c’est la fosse d’Ophélia qu’ils creusent en présence d’Hamlet, c’est à Ophélia que se rapporteront, quand il en sera instruit, toutes les impressions qu’ont fait naître dans son âme la vue de ces ossements hideux et méprisés, et l’indifférence attachée aux restes matériels de ce qui fut beau et puissant, honoré ou chéri. Aucun détail de ces tristes préparatifs n’est perdu pour le sentiment qu’ils excitent ; l’insensible grossièreté des hommes voués aux habitudes d’un pareil métier, leurs chansons, leurs quolibets, tout porte coup ; et les formes, les moyens du comique rentrent ainsi sans effort dans la tragédie, dont les impressions ne sont jamais plus vives que lorsqu’on les voit près de tomber sur l’homme déjà frappé à son insu et se jouant en présence du malheur qu’il ignore.

Sans cet emploi du comique, sans cette intervention des classes inférieures, combien d’effets dramatiques, qui contribuent puissamment à l’effet général, deviendraient impossibles ! Accommodez au goût de plaisanterie de notre temps la scène du portier de Macbeth, et il n’est personne qui ne frémisse en songeant à la découverte qui va suivre ces accès d’une joie bouffonne, au spectacle de carnage encore caché sous ces restes de l’ivresse d’une fête. Que Hamlet soit le premier mis en relation avec l’ombre de son père ; que de préparations, que d’explications seront indispensables pour nous placer dans l’état d’esprit où doit être un prince, un homme des classes élevées, pour croire à une apparition ! Mais l’apparition a eu lieu d’abord devant des soldats, des