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SUR SHAKSPEARE.

trop souvent détournée sur les moyens d’action qu’il était contraint de puiser dans les vicissitudes de la destinée d’Hermione. Selon le système imposé dans le xviie siècle à nos poëtes dramatiques, Hermione devait être le centre de l’action, et elle l’est en effet. Sur un théâtre de plus, en plus soumis à l’autorité des femmes et de la cour, l’amour semblait destiné à remplacer la fatalité des anciens : puissance aveugle, inflexible comme la fatalité, conduisant de même ses victimes au but marqué dès les premiers pas, l’amour devenait le point fixe autour duquel devaient tourner toutes choses. Dans Andromaque, l’amour fait d’Hermione un personnage simple, dominé par sa passion, y rapportant tout ce qui se passe sous ses yeux, attentif à se soumettre les événements pour la servir et la satisfaire ; Hermione seule dirige et fait avancer le drame ; Andromaque ne paraît que pour subir une situation aussi impuissante que douloureuse. Une conception pareille peut amener d’admirables développements des affections passives du cœur, mais elle ne constitue pas une action tragique ; et dans les développements qui ne conduisent pas immédiatement à l’action, l’intérêt court risque de s’égarer et de rentrer ensuite avec peine dans la seule direction où il se puisse maintenir.

Quand, au contraire, le centre d’action et le centre d’intérêt sont confondus, quand l’attention du spectateur a été fixée sur le personnage, à la fois actif et immuable, dont le caractère, toujours le même, fera sa destinée toujours changeante, alors les événements qui s’agitent autour d’un tel homme ne nous frappent que par rapport à lui ; l’impression que nous en recevons prend la couleur qu’il leur a lui-même imposée. Richard III marche de complot en complot ; chaque nouveau succès redouble l’effroi que nous a causé d’abord son infernal génie ; la pitié qu’éveille successivement chacune de ses victimes vient se perdre dans les sentiments de haine qui s’amassent sur le persécuteur ;