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ÉTUDE

pour s’emparer de la couronne dont on le voit presque en possession avant que Richard, rejeté par la tempête sur les côtes d’Angleterre, ait pu être instruit de son arrivée. Et l’on entend dire à la fin de la pièce qui, depuis l’exil de Bolingbroke, n’a pu durer plus de quinze jours, que Mowbray, exilé au même moment que lui, a fait pendant ce temps plusieurs voyages à la terre sainte, et est venu mourir en Italie.

Ces monstrueuses bizarreries ne compteraient assurément pas parmi les preuves du génie de Shakspeare si elles n’attestaient l’empire qu’avait pris sur lui la grande pensée dramatique à laquelle il a tout sacrifié. Soit que, dans ses pièces historiques, il multiplie les invraisemblances et les impossibilités pour dissimuler le cours du temps, soit que, dans ses plus belles tragédies, il le laisse fuir sans s’en inquiéter, c’est toujours l’unité d’impression, source de l’effet théâtral, qu’il poursuit et veut maintenir. Il faut voir dans Macbeth, véritable type de son système, avec quel art il sait vaincre les difficultés qui en naissent, et renouer, dans l’âme du spectateur, la chaîne des lieux et des temps sans cesse brisée dans la réalité ! Macbeth, déterminé à faire périr Macduff qu’il redoute, vient d’apprendre sa fuite en Angleterre ; il quitte la scène, annonçant le projet d’attaquer immédiatement son château, d’égorger sa femme, ses enfants, tout ce qui porte son nom. La scène se rouvre dans le château de Macduff, par une conversation entre lady Macduff et Ross, son parent, qui vient lui apprendre le départ de son mari et lui témoigner des craintes pour elle-même. Les deux scènes, liées ainsi étroitement par la pensée, semblent l’être par le temps ; la distance a disparu : qui songerait à réclamer, comme un intervalle dont on doit lui rendre compte, les lieues qui séparent le château de Macduff du palais de Macbeth, et le temps qu’il a fallu pour les parcourir ? On est entré sans effort dans cette nouvelle partie de la situation ; elle suit son cours ; les assassins se présentent ; le massacre com-