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ÉTUDE

veaux dont il aura besoin. Les sorcières qui, dès l’entrée de la scène, se sont emparées de sa destinée, ne nous laissent pas espérer qu’elles accorderont quelque relâche à l’ambition et aux nécessités du crime. Ainsi tous les fils de l’action sont d’abord exposés à nos yeux ; nous suivons, nous prévenons le cours des événements ; aucune hâte ne nous coûte pour arriver à ce que notre imagination dévore d’avance ; les intervalles s’évanouissent avec la succession des idées qui les devaient remplir ; une seule succession se marque dans notre esprit, celle des événements dont se compose le spectacle entraînant qui nous emporte dans sa rapidité ; ils se touchent pour nous dans le temps comme ils se tiennent dans la pensée ; et, quelque durée qui les puisse séparer, c’est une durée vide et inaperçue comme celle du sommeil, comme toutes celles où l’âme ne se manifeste par aucun symptôme sensible de son existence. Qu’est-ce pour notre esprit que l’enchaînement des heures auprès de cet enchaînement des idées ? Et quel poète, soumis à l’unité de temps, la croirait suffisante pour établir, entre les différentes parties de son ouvrage, ce lien puissant qui ne peut résulter que de l’unité d’impression ? Tant il est vrai que celle-là seule est le but, tandis que les autres ne sont que le moyen.

Sans doute ce moyen peut avoir quelquefois son efficacité ; la rapidité d’une grande action exécutée, d’un grand événement accompli dans l’espace de quelques heures, saisit l’imagination et emporte l’âme d’un mouvement auquel elle se livre avec ardeur. Mais peu d’actions comportent en réalité une action si soudaine ; peu d’événements se composent de parties si exactement rapprochées dans le temps et l’espace ; et, sans parler des invraisemblances qu’amène leur cohésion forcée, les surprises qui en résultent troublent bien souvent l’unité d’impression, condition rigoureuse de l’illusion dramatique. Zaïre, passant tout à coup de son amour dévoué pour Orosmane à la plus entière soumission pour la foi