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ÉTUDE

le secret quand nos émotions en ont attesté la puissance. La science ou l’emploi de ces combinaisons constitue l’art. Shakspeare a eu le sien. Il faut le découvrir dans ses ouvrages, examiner de quels moyens il se sert, à quels résultats il aspire. Alors seulement nous connaîtrons vraiment le système ; nous saurons à quel point il peut encore se développer, selon la nature générale de l’art dramatique considéré dans son application à nos sociétés modernes.

Ce n’est point ailleurs, en effet, ce n’est point dans des temps passés ou chez des peuples étrangers à nos mœurs, c’est parmi nous et en nous-mêmes qu’il faut chercher les conditions et les nécessités de la poésie dramatique. Différent en ceci des autres arts, outre les règles absolues que lui impose, comme à tous, l’invariable nature de l’homme, l’art du théâtre a des règles relatives qui découlent de l’état mobile de la société. Dans l’imitation du style antique, les statuaires modernes n’éprouvent d’autre gêne que la difficulté d’atteindre à sa perfection : le plus fervent et le plus puissant adorateur de l’antiquité n’oserait, sur le théâtre le plus soumis, reproduire tout ce qu’il admire dans une tragédie de Sophocle. Il est aisé d’en démêler la cause. Devant une statue ou un tableau, le spectateur reçoit d’abord, du sculpteur ou du peintre, l’impression première qui le saisit ; mais c’est à lui-même à continuer ensuite l’ouvrage. Il s’arrête, il regarde ; sa disposition naturelle, ses souvenirs, ses pensées viennent se grouper autour de l’idée principale qui s’offre à ses yeux, et développent en lui par degrés l’émotion toujours croissante qui va bientôt le dominer. L’artiste n’a fait qu’ébranler, dans le spectateur, la faculté de concevoir et de sentir ; elle s’empare du mouvement qu’elle a reçu, le suit dans sa propre direction, l’accélère par ses propres forces, et crée ainsi elle-même le plaisir dont elle jouit. Que devant un tableau de martyre, l’un s’émeuve de l’expression d’une piété fervente, l’autre de l’aspect d’une douleur résignée ; que la cruauté des