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ÉTUDE

ce qu’il ne peut se résoudre à regarder comme l’œuvre du génie auquel il rend du moins cet hommage. Quant à ce qu’il faut bien lui laisser, Shakspeare, dit Pope, forcé de pourvoir à sa subsistance, a écrit « pour le peuple, » et d’abord sans songer à plaire à des esprits « d’une meilleure sorte. » En 1765, Johnson déjà plus hardi, encouragé par l’aurore d’un retour au goût national, défend vigoureusement les libertés romantiques de Shakspeare contre les prétentions de l’autorité classique ; et s’il accorde quelque chose aux dédains d’un siècle plus poli pour la vulgarité et l’ignorance du vieux poëte, du moins fait-il remarquer qu’à certaines époques le vulgaire c’est toute la nation.

On réimprimait donc et on commentait Shakspeare ; mais les mutilations de ses œuvres obtenaient seules les honneurs de la scène ; le Shakspeare amendé par Dryden, Davenant et tant d’autres, était le seul qu’on osât représenter ; et le Tatler ayant à citer des vers de Macbeth, les prenait dans le Macbeth corrigé par Davenant. Ce fut Garrick qui, ne trouvant nulle part, aussi bien que dans Shakspeare, de quoi suffire aux besoins de son propre talent, l’arracha à ces honteuses protections, prêta à cette vieille gloire la fraîcheur de sa jeune renommée, et remit le poëte en possession du théâtre comme de la patriotique admiration des Anglais.

Depuis cette époque, l’orgueil national a, chaque jour, répandu et redoublé cette admiration. Cependant elle demeurait stérile, et Shakspeare régnait, dit sir Walter Scott, « comme un prince grec sur des esclaves persans qui l’adorent, mais sans oser imiter son langage. » Un nouvel élan ne peut être uniquement dû à d’anciens souvenirs ; une ancienne époque, pour porter de nouveaux fruits, a besoin d’être de nouveau fécondée par un mouvement analogue à celui qui lui valut jadis sa fécondité.

Ce mouvement s’est fait sentir en Europe, et l’Angleterre aussi commence à en éprouver l’impulsion ; les