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de la puissance de l’ennemi de l’homme, puissance soumise cependant au maître éternel et suprême qui, du même coup dont il décide la chute, prépare la punition. Richard, agent bien plus direct, bien plus volontaire de l’esprit du mal, semble plutôt jouter avec lui que lui obéir et dans ce jeu terrible des pouvoirs infernaux, c’est comme en passant que s’exerce la justice du ciel jusqu’au moment où elle éclatera sans équivoque sur l’insolent coupable qui s’imaginait la braver en accomplissant ses desseins.

Cette différence dans la marche des idées se peint dans tous les détails du caractère et de la destinée des personnages. Macbeth, une fois tombé, ne se soutient que par l’ivresse du sang où il se plonge toujours davantage ; et il arrive à la fin fatigué de ce mouvement étranger à sa nature, désabusé des biens qui lui ont coûté si cher, et ne puisant que dans l’élévation naturelle de son caractère la force de défendre ce qu’il n’a presque plus le désir de conserver. Richard, inférieur à Macbeth pour la profondeur des sentiments autant qu’il lui est supérieur par la force de l’esprit, a cherché, dans le crime même, le plaisir d’exercer des facultés comprimées, et de faire sentir aux autres une supériorité ignorée ou dédaignée. Il trompe à la fois pour réussir et pour tromper, pour s’assujettir les hommes et pour se donner le plaisir de les mépriser ; il se moque de ses dupes et des moyens qu’il a employés pour les duper et à la satisfaction qu’il ressent de les voir vaincus, s’allie celle d’avoir acquis la preuve de leur faiblesse. Cependant ce qu’il en découvre ne suffit pas encore à la tyrannie de ses volontés la bassesse ne va jamais tout à fait aussi loin qu’il l’a conçu, et qu’il a eu besoin de le concevoir obligé de sacrifier ensuite ce qu’il a d’abord corrompu, il faut que sans cesse il séduise de nouveaux agents pour abattre de nouvelles victimes Mais arrive enfin le moment où ses moyens de séduction ne suffisent plus à surmonter les difficultés qu’il s’est créées, où l’appât qu’il peut présenter aux passions des hommes n’est plus de force à surmonter l’effroi qu’il leur a inspiré sur leurs intérêts les plus pressants alors ceux qu’il avait divisés pour les faire succomber l’un par l’autre se réunissent contre lui. Il se sentait trop fort pour chacun d’eux, il est seul contre tous, et il a cessé d’espérer en lui-même il se rend justice alors, mais sans s’abandonner, et, par un dernier effort, il se brise contre l’obstacle qu’il s’indigne de ne pouvoir plus vaincre.

La peinture d’un pareil personnage, et des passions qu’il sait mettre en jeu pour les faire servir à ses intérêts, offre un spectacle d’autant plus frappant qu’on voit clairement que l’hypocrisie de