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Si mon précieux amour n’était que l’enfant de la grandeur, la Fortune

pourrait renier cet enfant bâtard, aussi sujet à l’amour ou à la haine
du Temps que de l’ivraie cueillie au milieu de l’ivraie, ou des fleurs
parmi d’autres fleurs. Mais non, il a grandi loin des accidents du sort ;
il ne souffre pas au milieu d’une pompe souriante, il ne succombe pas
aux coups du sombre mécontentement, selon que la mode l’y invite ; il ne
craint pas la politique, cette hérétique qui fait son œuvre dans un
bail d’heures rapides, mais il reste debout, suprême politique, qui ne
grandit pas avec la chaleur, et que ne sauraient noyer les orages. J’en
prends à témoin ces fous du temps, qui meurent pour le bien, après avoir

vécu pour le crime.


Que m’importerait de porter le dais, d’honorer dans la forme ce qui est

extérieur, ou de construire pour l’éternité de vastes bases, qui
seraient moins durables que les ruines ou le néant ? N’ai-je pas vu tout
perdre à ceux qui ne songeaient qu’aux biens et aux faveurs de ce monde,
qui leur rendaient les plus grands hommages, et perdaient la simple
saveur en cherchant des mélanges plus précieux ? Pauvres ouvriers, qui se
consumaient en regards ! Non ; je veux être obséquieux dans ton cœur,
reçois mon oblation, elle est pauvre mais libre ; nulle autre ne veut s’y
mêler ; elle ne connaît pas l’art, mais rends-la mutuelle ; je me donne
seulement à toi. Loin de moi, dénonciateur suborné ! plus tu l’attaques,

et plus l’âme fidèle échappe à ton pouvoir !


O toi, aimable enfant, qui tiens en ton pouvoir le miroir capricieux du

Temps, et l’heure, sa faucille ! Toi qui as grandi en décroissant, et qui
nous montres tes adorateurs en train de se flétrir, tandis que tu
grandis, ô charmante créature. Si la nature, souveraine maîtresse de ce
qui périt tandis que tu avances, veut encore te retenir, elle te garde
afin de déshonorer le Temps par son habileté, et de tuer les tristes
minutes. Cependant crains-la, ô toi, favori de son caprice ; elle peut
retenir, mais non conserver son trésor ; il faut finir par entendre son

appel ; elle ne se tait que pour te rendre.


Sonnets
CXXVII