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a fait tomber des forêts
l’orgueil de trois étés ; j’ai vu dans le cours des saisons trois beaux
printemps se transformer en automnes jaunissantes ; trois fois les
parfums d’avril ont été consumés par les chaleurs de juin, depuis que je
vous ai vu pour la première fois dans votre fraîcheur, vous qui êtes
encore vert. Ah ! pourtant la beauté, comme l’aiguille d’un cadran, se
dérobe peu à peu, sans qu’on voie sa marche, de même votre teint
charmant, que je crois voir toujours le même, ne reste pas immobile, et
mes yeux peuvent me tromper. Entends donc ceci, ô toi, âge encore à

naître ; avant que vous fussiez né, l’été de la beauté était mort.


Qu’on n’appelle pas mon amour une idolâtrie ! Qu’on ne dise pas que mon

bien-aimé est une idole, puisque tous mes chants et toutes mes louanges
doivent à jamais le célébrer, lui et toujours lui. Mon ami est bon
aujourd’hui, bon demain, toujours constant dans une perfection
merveilleuse : ainsi mes vers, réduits à chanter la constance,
n’expriment qu’une seule chose, et renoncent à toute variété. Beau, bon
et fidèle, voilà tout mon sujet. Beau, bon et fidèle, en empruntant
d’autres expressions et je dépense tout ce que j’ai d’invention à opérer
ce changement, à mettre en un seul trois thèmes, qui me donnent une
marge inouïe. On a souvent vu séparées, la beauté, la bonté et la
fidélité, mais jusqu’à ce jour, elles ne s’étaient jamais réunies en une

seule personne.


Quand je vois, dans les chroniques du temps passé, des descriptions des

plus belles personnes, et de beaux vieux vers en l’honneur de dames qui
sont mortes et de charmants seigneurs ; alors, dans le blason des
perfections de la beauté, de la main, du pied, de la lèvre, de l’œil,
du front, je vois que les plumes antiques ont voulu exprimer la beauté
que vous possédez aujourd’hui. Toutes leurs louanges ne sont que des
prophéties de notre temps, elles vous annoncent toutes ; si ce n’était
qu’ils vous ont contemplée avec des yeux prophétiques, ils n’auraient
pas eu assez de talent pour chanter vos mérites. Car nous, qui voyons
maintenant le temps présent, nous avons des yeux pour admirer, mais nos

langues sont inhabiles à vous célébrer.

{{Titre|Sonnets|William Shakespeare|