Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/467

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour faire ressortir la vérité de la beauté, ce qui est
parfait l’est plus encore, lorsqu’on ne le mélange pas ? » Parce que la
louange n’est pas nécessaire, veux-tu rester muette ? n’excuse pas ainsi
ton silence ; car il dépend de toi de le faire survivre à une tombe toute
dorée, et de lui assurer les éloges des siècles à venir. Remplis donc
ton office, ô muse. Je t’apprendrai comment il faut le faire vivre dans

la postérité tel qu’il apparaît aujourd’hui.


Mon amour est plus fort, quoique plus faible en apparence ; je n’aime pas

moins, quoique je paraisse moins aimer. C’est un amour vénal, que celui
dont la bouche va partout publiant la riche valeur ; notre amour était
jeune, et encore dans son printemps, quand j’avais coutume de le
célébrer dans mes vers ; semblable à Philomèle qui chante au plus fort de
l’été, et fait taire son chalumeau quand les jours prennent de la
maturité. Non que l’été soit moins agréable aujourd’hui que lorsque ses
hymnes mélancoliques faisaient faire silence à la nuit ; mais tous les
rameaux sont chargés d’une musique plaintive, et les plaisirs qui
deviennent communs perdent leur charme précieux. Comme elle, je me tais

parfois, car je ne voudrais pas vous importuner de mes chants.


Hélas ! quelle pauvreté montre ma muse, quand elle a un tel sujet pour

déployer son orgueil ! La vérité toute nue a plus de valeur que lorsque
tous mes éloges viennent s’y ajouter. Oh ! ne me blâmez pas si je ne puis
plus écrire ! Regardez dans votre miroir, et vous y verrez un visage qui
vient détruire toutes mes grossières inventions, qui ôte tout prix à mes
vers, et me couvre de honte. Ne serait-il donc pas criminel, en voulant
corriger, de gâter ce qui était auparavant beau ? Car mes vers tendent
uniquement à dire vos charmes et vos mérites ; et votre miroir, quand
vous le regardez, vous montre plus, bien plus que ne sauraient dire mes

vers.


Pour moi, mon bel ami, vous ne serez jamais vieux, car votre beauté me

paraît être aujourd’hui telle que je la vis quand je vous contemplai
pour la première fois. Le froid de trois hivers