Je vivrai donc ainsi, supposant que tu es fidèle, comme un mari trompé.
Le visage de l’amour pourra me sembler toujours le même, quoiqu’il soit
changé de nouveau ; tes regards seront pour moi, ton cœur sera ailleurs :
car la haine ne peut vivre dans tes yeux, de sorte que je ne pourrai
apercevoir ton changement à mon égard. Souvent l’histoire d’un coeur
faux est écrite dans un regard, dans une moue, dans un air sombre, dans
des rides bizarres ; mais en te créant le ciel a voulu que le doux amour
demeurât à jamais sur ton visage ; quels que soient tes pensées ou les
mouvements de ton cœur, tes yeux ne parlent jamais que de douceur.
Combien ta beauté devient semblable à la pomme d’Ève, si ta douce vertu
dont ils semblent le plus capables, qui émeuvent les autres et restent
eux-mêmes comme un bloc de marbre, indifférents, glacés, et lents à la
tentation, héritent avec justice des grâces du Ciel et savent épargner
les richesses de la nature ; ils sont maîtres et seigneurs de leurs
visages, les autres ne sont que les intendants de leur mérite. La fleur
de l’été est douce pour l’été, quoique pour elle-même elle ne fasse que
vivre et mourir ; mais si cette fleur devient une vile infection, la plus
vile mauvaise herbe la surpasse en dignité ; car les plus douces choses
deviennent parfois les plus amères ; les lis qui empestent ont une bien
coeur d’une rose odorante, la beauté de ton nom à peine entr’ouvert ! Oh !
dans quelles douceurs ne sais-tu pas enfermer tes péchés ! Cette langue
qui raconte l’histoire de ta vie, en faisant sur tes plaisirs des
commentaires licencieux, ne peut en quelque sorte te blâmer qu’en te
louant ; en prononçant ton nom, on donne de l’attrait à de fâcheux
rapports. Oh ! quelle demeure ont les vices qui t’ont choisie pour leur
habitation ! Toi dont le voile de la beauté couvre tous les défauts, et
transforme en charmes tout ce que les yeux peuvent