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ta liberté, mes
droits sur toi ont tous un terme ; car quelle prise ai-je sur toi, si ce
n’est ce que tu m’as donné ? En quoi ai-je mérité une si grande richesse ?
Je ne possède point de droit à ce beau présent, en sorte que voilà mon
privilége qui m’échappe. Tu t’es donné, sans savoir ce que tu valais, ou
bien en te méprenant sur moi à qui tu le donnerais ; ainsi ton grand don
né d’une méprise rentre entre tes mains, sur plus mûr jugement. Je t’ai
possédé ainsi comme un rêve nous flatte, j’ai été roi en dormant ; en me

réveillant, il n’en est plus question.


Sonnets
LXXXVIII
Quand tu seras disposé à me traiter légèrement et à donner mon mérite en

butte au mépris, je combattrai pour toi contre moi-même, et je prouverai
que tu es vertueux, tout en étant parjure. Comme je connais mieux que
personne mes propres faiblesses, je ferai valoir en ton nom une histoire
de défauts cachés qui me fera tort, et toi en me perdant tu acquerras
une grande gloire, ce à quoi je gagnerai aussi, puisque attachant sur
toi toutes mes tendres pensées le mal que je me ferai, s’il t’est
avantageux, il aura pour moi un double avantage. Tel est mon amour pour
toi, je t’appartiens si complétement que je veux porter tous les torts

pour soutenir ton droit.


Sonnets
LXXXIX
Dis que tu m’as abandonné pour quelque défaut, et je m’étendrai sur

cette offense, parle de mon infirmité, et je me mettrai tout de suite à
boiter, je ne me défendrai point contre tes raisons. Mon amour, tu ne
peux pas me traiter aussi mal que je me traiterai moi-même, en assignant
une raison au changement que tu désirais ; sachant tes volontés, je
couperai court à nos relations, je me donnerai l’air d’un étranger, je
m’absenterai de tes promenades, ma langue ne prononcera plus ton nom
chéri, de peur de lui faire tort et de le profaner en parlant peut-être
de notre ancienne amitié. A cause de toi, je me jure inimitié à

moi-même, car je ne puis pas aimer celui que tu détestes.


Maintenant déteste-moi si tu veux, maintenant si tu dois me détester un

peu, pendant que le monde est disposé à contrarier mes désirs, fais
alliance avec la fortune ennemie, fais-