Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/451

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tes yeux affamés, jusqu’à ce qu’ils se ferment de
satisfaction, recommence demain à regarder et ne tue pas l’âme de
l’amour par une constante langueur. Que ce triste intérieur soit comme
l’Océan qui sépare les côtes où deux fiancés viennent tous les jours sur
la rive afin de jouir davantage du retour de leur amour quand il
reviendra, ou bien, dès que c’est l’hiver qui, plein de soucis, fait

désirer trois fois plus le retour de l’été et le rend plus précieux.


Je suis votre esclave : comment pourrais-je faire autrement que de me

plier à toute heure et à tout moment à vos désirs ? Je n’ai point de
temps précieux à employer, point de services à rendre que ceux que vous
demandez. Je n’ose pas me plaindre de l’éternité des heures pendant que
je suis l’horloge, ma souveraine ; en vous attendant, je n’ose pas
trouver que l’absence est amère et cruelle, lorsque vous avez une fois
dit adieu à votre serviteur ; je n’ose pas me demander, dans mes pensées
jalouses, où vous êtes, ni chercher à deviner vos affaires, mais
tristement, comme un esclave, je vous attends sans penser à rien, si ce
n’est que vous rendez heureux ceux auprès desquels vous êtes ; l’amour
est si fou que tout ce que vous voulez faire, quoi que vous puissiez

faire, il n’y voit point de mal.


A Dieu ne plaise, à Dieu qui, pour la première fois, m’a fait votre

esclave, que je prétende contrôler dans mes pensées le temps de votre
bon plaisir, ou vous demander compte de vos heures, moi qui suis votre
vassal tenu d’attendre votre loisir ! O que je souffre (moi qui suis à
vos ordres) la prison et l’absence que m’imposent votre liberté, et que
ma patience soumise jusqu’à la servitude supporte toutes les réprimandes
sans vous accuser de lui faire tort. Allez où il vous plaira, votre
charte est si puissante que vous pouvez de vous-même accorder des
priviléges à votre temps, faites ce que vous voudrez, c’est à vous qu’il
appartient de vous accorder le pardon de crimes commis contre vous-même.
Moi je n’ai qu’à attendre, bien que d’attendre ainsi soit un enfer, et

je ne blâme pas ce qui vous convient, que ce soit bon ou mauvais.

{{Titre|Sonnets|William Shakespeare|