Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/450

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vous ne ressemblez à personne et personne ne

vous ressemble pour la constance du cœur.


O combien la beauté semble plus belle sous les ornements précieux qu’y

ajoute la fidélité ! La rose est charmante, mais nous la trouvons plus
charmante encore à cause de ce doux parfum qui réside dans son sein. Les
églantines ont des nuances aussi vives que les pétales parfumées des
roses, elles sont entourées des mêmes épines et elles se balancent aussi
voluptueusement quand le souffle de l’été entr’ouvre leurs boutons, mais
leur beauté est toute leur valeur, elles meurent sans qu’on les ait
recherchées, elles se fanent sans avoir inspiré de tendresse, elles
meurent pour elles-mêmes. Il n’en est pas ainsi des roses parfumées ;
leur suave mort engendre des parfums délicieux ; de même pour vous,
aimable et beau jeune homme, quand tous les charmes se flétriront, on

distillera votre fidélité dans les vers.


Le marbre et les monuments dorés des pensées ne survivront pas à cette

poésie puissante ; vous brillerez d’un plus vif éclat dans ces vers que
sous des pensées couvertes de poussière, altérées par la négligence du
temps. Lorsque la guerre destructive renversera les statues, et que les
bouleversements déracineront les travaux de maçonnerie, ni l’épée de
Mars ni les flammes dévorantes de la guerre ne pourront brûler le
monument vivant de votre mémoire. Vous vous avancerez fièrement en face
de la mort et d’une inimitié oublieuse, votre éloge trouvera encore une
place même aux yeux de toute la postérité qui usera le monde jusqu’à la
dernière sentence. Ainsi, jusqu’au jugement, jusqu’à ce que vous
ressuscitiez vous-même, vous vivrez ici, et vous habiterez dans les yeux

de ceux qui aiment.


Puissant amour, renouvelle tes jours, qu’on ne dise pas que ton ardeur

est moins vive que celle de l’appétit qui n’est apaisé par la nourriture
que pour un jour, et qui demain sera aiguisé de nouveau avec toute son
ancienne vigueur. Amour, fais-en de même, qu’importe que tu aies
satisfait aujourd’hui