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traits célestes n’ont jamais touché à un visage terrestre. C’est ainsi
que mes papiers, jaunis par le temps, seraient méprisés comme des
vieillards plus bavards que véridiques, et on traiterait votre juste
éloge de fureur poétique, on dirait que c’est le mètre exagéré d’une
vieille chanson. Mais s’il vivait dans ce temps-là quelque enfant à

vous, vous vivriez deux fois, en sa personne et dans mes vers.


Te comparerai-je à un jour d’été ? tu es plus charmante et plus tempérée ;

dans leur violence les vents font tomber les bourgeons chéris de mai, et
le bail de l’été est trop court, l’œil du ciel brille quelquefois avec
trop d’éclat ; souvent son teint doré est brouillé, et toute beauté perd
une fois sa beauté, dépouillée par le hasard ou par le cours inconstant
de la nature ; mais ton éternel été ne se flétrira point, tu ne perdras
point la beauté que tu possèdes ; la mort ne se vantera pas de te voir
errer dans ses ombres, lorsque tu vivras dans tous les temps par des
vers immortels ; tant que les hommes respireront, tant que les yeux

pourront voir, autant vivra ceci, autant ceci te donnera vie.


Temps dévorant, émousse les griffes du lion, et que la terre dévore

elle-même sa douce postérité, arrache les dents acérées des mâchoires du
tigre féroce, brûle dans son sang le phénix à longue vie, apporte-nous
dans ton vol des saisons heureuses et des saisons funestes. Temps aux
pieds rapides, fais ce que tu voudras dans le vaste univers, et pour se
charmes fragiles, je ne t’interdis qu’un crime odieux, que tes heures ne
sillonnent pas le beau front de mon ami, n’y trace point de lignes avec
ton antique plume, laisse-le dans ton cours subsister tout entier pour
servir de modèle de beauté aux races futures. Néanmoins fais du pis que
tu voudras, vieux Temps : en dépit de tes outrages, mon ami vivra

toujours jeune dans mes vers.


Tu as un visage de femme, peint de la main de la nature, toi le maître

et la maîtresse de ma passion ; tu as le cœur tendre d’une femme, mais
tu ne connais pas les inconstances auxquelles la perfidie des femmes est
sujette ; tu as les yeux plus