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force, ni puissance. Tu es tout, et toutes choses sont à toi.

XXXVI. — Lorsque tu agis, que font les préceptes des exemples vieillis ? Lorsque tu enflammes, combien la richesse, la crainte filiale, la loi, la famille, la renommée sont de faibles obstacles : les armes de l’Amour sont pacifiques, mais elles triomphent de toute règle, de tout jugement, de toute honte ; il adoucit, dans les angoisses qu’il cause, l’aiguillon de la force, de la crainte et de la douleur.

XXXVII. — Voici, tous ces cœurs qui sont soumis au mien sentent qu’ils se brisent, et languissent avec de sanglants gémissements ; c’est vers vous qu’ils tournent leurs soupirs, afin que vous renonciez à me faire soupirer, afin que vous prêtiez doucement l’oreille à mes tendres desseins, et que vous ajoutiez foi à ce puissant serment qui accompagne mon hommage. »

XXXVIII. — Après avoir ainsi parlé, il baissa ses yeux humides, qu’il avait jusqu’alors tenus attachés sur mon visage ; un fleuve au courant écumeux coula tendrement de ses yeux. O quel charme le canal prêtait au fleuve ! son cristal éblouissant répétait à travers l’onde les roses éclatantes qui lui prêtaient leur couleur.

XXXIX. — O mon père, quel enfer de puissance magique réside dans le petit globe d’une seule larme ! Quel est le cœur de rocher qui peut résister à l’inondation des yeux ? Quel est le sein glacé qui n’en serait réchauffé ? O effet singulier ! froide modestie, ardente colère, vous êtes à la fois enflammée et glacée.

XL. — Car voici ! Sa passion, qui n’était que le comble de l’art, sut bien vite faire fondre en larmes ma raison : j’abandonnai ma blanche robe de chasteté, je dépouillai ma prudente réserve et mes craintes modestes ; je me montrai à lui, comme il se montrait à moi, tout en larmes ; seulement nos larmes avaient cette différence, c’est que les siennes m’empoisonnèrent, et que les miennes le rendirent à la vie.

XLI. — Chez lui, la richesse de l’adresse subtile s’appliquait à tromper sans cesse, et prenait mille formes bizarres ; tantôt des rougeurs brûlantes, tantôt des torrents de larmes, ou des pâleurs mortelles ; il savait prendre et quitter à plaisir, suivant que cela devait mieux tromper, et rougir des discours grossiers, et pleurer sur les douleurs d’autrui, et pâlir, et s’évanouir en présence de scènes émouvantes.

XLII. — Parmi tous les cœurs qui étaient à sa portée il n’en était pas un seul qui pût échapper à ses coups meurtriers,