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je savais comment il pouvait enfreindre ses vœux, je croyais que ses actions et ses paroles n’étaient que l’effet de l’art, et les œuvres bâtardes de son cœur pervers.

XXIII. — Longtemps je restai maîtresse de ma place, jusqu’à ce qu’enfin il m’assiégea en disant : « Douce fille, ayez quelque compassion de ma jeunesse souffrante, et ne soyez pas effrayée de mes saints vœux ; ce que je vous jure, je ne l’ai jamais dit à personne ; car j’ai été souvent convoqué à des festins d’amour, mais jusqu’à présent, je n’ai jamais invité personne, je n’ai jamais prononcé de serment.

XXIV. — Toutes mes fautes, dont vous avez pu entendre parler au loin, sont des erreurs du sang, et non de l’esprit ; l’amour n’en est pas coupable : elles ont pu être commises là où l’on n’était ni fidèle ni tendre : elles ont tellement cherché la honte qu’elles ont fini par la trouver ; et je suis d’autant moins à blâmer qu’elles cherchent davantage à faire peser sur moi toute la honte.

XXV. — Parmi toutes celles que mes yeux ont vues, il n’y en a pas une seule dont la flamme ait le moins du monde échauffé mon cœur, qui m’ait causé le plus léger chagrin, ou qui ait charmé un seul instant mes loisirs : je leur ai fait du mal, mais elles ne m’en ont jamais fait : leur cœur m’était soumis, mais le mien était libre, et régnait en souverain dans sa monarchie.

XXVI. — Voyez quels tributs ces cœurs malades m’envoyaient : des perles pâlissantes, et des rubis rouges comme le sang ; elles se figuraient qu’elles me prêtaient en même temps leurs douleurs et leurs rougeurs passionnées, peintes sous cet emblème d’une blancheur éclatante et d’une nuance cramoisie : résultats d’une terreur et d’une douce modestie qui résidaient dans leurs cœurs, mais qui paraissaient extérieurement.

XXVII. — Et voyez ces objets précieux, ces cheveux tendrement mêlés à de riches métaux ; j’en ai reçu de plus d’une beauté qui me suppliait en pleurant de daigner les accepter, avec de splendides bijoux, et des sonnets recherchés où l’on faisait valoir la nature, la valeur et la qualité de chaque pierre précieuse.

XXVIII. — Le diamant était beau et dur, et il contenait mille beautés cachées : l’émeraude vert foncé, où les yeux affaiblis reposent leur éclat maladif : le saphir couleur du ciel, et l’opale qui resplendit de tant d’objets divers : chacune de ces pierres, bien enchâssée d’esprit, souriait ou faisait pleurer.

XXIX. — Regardez tous ces trophées d’affections brûlantes,