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XVI. — Il régnait dans le cœur de tous, des jeunes comme des vieux ; et les deux sexes, également charmés, demeuraient avec lui par la pensée, ou restaient autour de lui, le suivant partout où il allait. Avant qu’il exprimât un désir, ce désir lui était accordé ; on lui insinuait ce qu’il voulait demander ; et ceux qui avaient une volonté faisaient obéir leur volonté à la sienne.

XVII. — Bien des gens se procuraient son portrait pour charmer leurs yeux et prendre possession de leur âme : semblables aux insensés qui voient dans leur imagination des objets splendides, qui s’attribuent par la pensée des domaines et des palais, et qui en jouissent bien plus que le seigneur goutteux qui les possède réellement.

XVIII. — Plus d’une femme qui n’avait jamais touché sa main se croyait de la sorte maîtresse de son cœur, et moi, pauvre infortunée, qui jouissais de ma liberté, et qui étais ma libre propriété, je fus charmée par sa jeune adresse, et par son adroite jeunesse ; je livrai mon cœur à sa puissance enchanteresse ; je ne me réservai que la tige, et je lui donnai toute ma fleur.

XIX. — Cependant je ne fis pas comme quelques-unes de mes pareilles, je n’allais pas le chercher, je ne désirai pas de lui céder : je compris que mon honneur me le défendait, et j’abritai mon honneur en restant à distance. L’expérience me construisit des remparts propres à me mettre à l’abri de ses causes, à déjouer ce bijou trompeur et sa furie amoureuse.

XX. — Mais, hélas ! qui a jamais pu, au moyen de l’expérience passée, éviter les maux qu’il faut souffrir ? Qui a jamais su, contre sa propre volonté, se détourner des périls du chemin ? La prudence peut arrêter un moment ce qu’elle ne peut empêcher à jamais ; car lorsque nous nous emportons, les conseils ne font souvent que nous irriter, en voulant nous rendre plus sages.

XXI. — Ce n’est pas donner satisfaction à notre passion que de nous dire qu’il faut la dompter, et de nous défendre des biens qui nous semblent si charmants, par crainte des maux qui prêchent à notre profit. O désir, reste éloigné du bon jugement ! L’un a un palais qui veut à toute force goûter ce qui est bon, quoique la raison pleure et s’écrie : « C’est ta dernière heure. »

XXII. — Car j’aurais pu dire : « Cet homme est trompeur » ; je connaissais les formes qu’empruntait sa perfide astuce ; je savais où ses plantes croissaient dans les vergers d’autrui ; j’avais vu comment il savait dorer d’un sourire tous ses mensonges,