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comme un glouton ; l’amour est tout vérité, la débauche est pleine de tromperies et de mensonges.

CXXXV. — J’en pourrais dire davantage, mais je n’ose ; ce texte est vieux et l’orateur trop jeune. Je me retire donc avec tristesse ; mon visage est rouge de honte et mon cœur plein de douleur : mes oreilles, qui ont écouté votre langage indécent, se brûlent elles-mêmes pour s’être ainsi rendues coupables. »

CXXXVI. — Il dit, s’arrache du doux lien de ces beaux bras qui l’enchaînaient sur le sein de Vénus ; et il retourne chez lui en courant à travers les sombres prairies, la laissant étendue par terre et désolée. Avez-vous jamais vu une brillante étoile filer dans le ciel ? tel fuit Adonis pendant la nuit loin des yeux de Vénus.

CXXXVII. — Ses regards le suivent comme ceux d’un homme, sur le rivage, contemplent un ami qui vient de s’embarquer, jusqu’à ce que les vagues furieuses ne lui permettent plus de l’apercevoir, en soulevant leurs crêtes jusqu’aux nuages : de même la nuit impitoyable et sombre enveloppe de ses ténèbres l’objet qui charmait l’œil de Vénus.

CXXXVIII. — Étourdie comme celui qui vient de laisser tomber par mégarde un précieux bijou dans les ondes, ou étonnée comme l’homme errant dans les ténèbres, lorsque son fanal s’éteint au milieu d’un bois dangereux, telle Vénus reste confondue après avoir perdu dans l’obscurité celui qu’elle avait découvert sur son chemin.

CXXXIX. — Elle frappe son sein qui gémit, et les cavernes voisines répètent ses plaintes comme si elles en étaient troublées ; sa passion s’augmente. Hélas ! s’écrie-t-elle ; et vingt fois elle ajoute : malheur, malheur ! Vingt échos répètent vingt fois le même cri.

CXL. — Elle les écoute, commence une douloureuse lamentation, et improvise un chant mélancolique ; elle dit comment l’amour rend la jeunesse esclave et fait radoter les vieillards ; comment l’amour est sage dans la folie et fou dans la sagesse. Son triste chant finit toujours par malheur ; et le chœur des échos répond à sa voix.

CXLI. — Son chant dura longtemps, plus longtemps que la nuit ; car les heures de ceux qui aiment sont longues, quoiqu’elles paraissent courtes. S’ils sont contents eux-mêmes, ils s’imaginent que les autres jouissent de la même satisfaction et partagent leur plaisir ; leurs longues histoires souvent recommencées finissent sans auditeurs, et ne finissent jamais.