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cœur, et la crainte m’enseigne l’avenir ! Oui, je prédis ta mort et mon éternelle douleur, si demain tu rencontres le sanglier.

CXIII. — Mais si tu veux absolument chasser, laisse-toi guider par moi, lance tes chiens contre le lièvre peureux, le renard qui vit de ruse ou le chevreuil qui n’ose rien affronter ; poursuis ces timides animaux sur les collines, et tiens tête à ton lévrier sur ton coursier agile.

CXIV. — Et lorsque tu es sur la trace du lièvre à la vue courte, observe comme le pauvre fugitif devance le vent pour échapper à son danger, et avec quel soin il tourne et traverse et multiplie ses détours ; les différents sentiers qu’il suit sont comme un labyrinthe pour dérouter ses ennemis.

CXV. — Quelquefois il court au milieu d’un troupeau de moutons pour tromper l’odorat subtil des chiens ; quelquefois il traverse des lieux souterrains où les lapins habitent, pour arrêter les hurlements sonores de ceux qui le poursuivent ; quelquefois encore, c’est dans une troupe de daims qu’il se cache : le danger invente des ruses, la crainte donne de l’esprit.

CXVI. — Car une fois là, son odeur se mêle à celle d’autres animaux, les lévriers excités reniflent l’air, ils hésitent et ils cessent leurs clameurs jusqu’à ce qu’ils soient parvenus avec peine à reconnaître la piste refroidie. Alors les aboiements recommencent, l’écho répond comme si une autre chasse avait lieu dans les airs.

CXVII. — Cependant le pauvre lièvre, au sommet d’un coteau lointain, se tient accroupi ; il écoute pour entendre si les ennemis le poursuivent encore ; il entend de nouveau leurs voix bruyantes, et son désespoir peut bien se comparer à celui d’un malade qui entend retentir le glas.

CXVIII. — Tu verras ce malheureux, inondé de sueur, tourner et retourner, revenir sur ses pas : chaque broussaille jalouse écorche ses jambes fatiguées ; chaque ombre le fait arrêter ; le moindre bruit le fait hésiter, car l’infortune est foulée aux pieds par tous, et dans son abaissement elle ne trouve aucun ami.

CXIX. — Reste tranquille ; écoute-moi encore un peu : non, ne me résiste pas, car tu ne te relèveras pas. Si, contre mon habitude, tu m’entends faire de la morale, c’est pour te faire haïr la chasse du sanglier. J’ajoute ceci à cela et une raison à une autre, car l’amour peut faire un commentaire sur tous les maux.